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Un "révoleur", des mères en détresse, un braqueur loser et un palmarès personnel.
C'est la dernière journée de le compétition, et il va falloir pousser pour faire tout rentrer : j'enchaine ainsi les quatre derniers films consécutivement dans un planning extrêmement serré.
Et on commence en fanfare avec un des monstres de la sélection, le nouveau film du chinois Bi Gan, attendu depuis des années, après la projection assez folle, en Un Certain Regard en 2018, d'Un grand voyage vers la nuit et son fameux plan séquence en 3D de plus d'une heure qui venait le conclure. Resurection vient redre ces sélections d'exception qui sont annoncées tardivement, puis programmées le dernier jour pour que le réalisateur ait le temps de finir son film.
Le film en met effectivement plein la vue, et tranche clairement par son audace avec le reste de la sélection. Voyage dans les rêves et la fabrique de l'imaginaire, le film suit un récit tortueux où se succèdent des tableaux fascinants, dans des décors qui ne cessent d'exhiber l'artificialité et la torsion du monde réel. Plastiquement, c'est absolument saisissant (un prix de la mise en scène s'impose), et sur le fond, c'est avant tout une déclaration d'amour au cinématographe, ce qui fait aussi sa limite. Car au fil de ces éléments narratifs confus et en roue libre, on a le sentiment que cette vaste installation citant autant Matrix que Welles, les Lumière, Hitchcock, Caligari ou Brazil, n'a pas d'autre objectif que de glorifier ses ainés, et peut-être elle-même.
Les gens fatiguent et commencent à s'énerver dans les files d'attente. Ils râlaient quand il pleuvait, il pestent quand ils cuisent au soleil, et pressent les ouvreuses de nous laisser entrer alors que le film précédent n'est même pas terminé. Dans cette euphorie totalement déconnectée du réel, ils en viennent à demander au staff de contrôler la météo et accélérer la durée des films. Je laisse les rombières éructer et res ma place, toujours la même, pour Woman and Child de Saeed Roustaee, lui aussi très attendu après son intense Leila et ses frères présenté en compétition en 2022. On retrouve certes la vigueur du cinéaste lorsqu'il filme les foules et les espaces carcéraux, mais il a surtout la mauvaise idée d'écrire une intrigue qu'on jurerait appartenir à un scénario de son compatriote Asghar Farhadi. Verrouillée de tous côtés, où chaque élément advient pour condamner les personnages et les empêcher de s'épanouir, déroulant son fil tragique doloriste. On peine à déterminer les décisions prises et la motivation des personnages, qui semblent surtout servir ce joli ficelage un peu pervers, au fil de séquences presque sadiques pour le spectateur, au point de désactiver la charge voulue contre le patriarcat, les déficiences du service public ou les traditions.
Retour au Grand Théâtre Lumière pour la projection du énième film des frères Dardenne, qui ont reçu tous les prix possibles du palmarès, au point qu'on a fini par en créer pour eux.
Jeunes mères des frères Dardenne s'avère relever le niveau après les deux précédents. Le film est sorti simultanément dans les salles et la critique est en ligne.
Tous les journalistes présents dans le Grand Théâtre Lumière entament le même sprint pour pouvoir redre la projection suivante, dernière de la compétition : The Mastermind de Kelly Reichardt, la petite chouchoute du cinéma indépendant américain faisant l'objet d'un culte un brin excessif. Cet opus plein de charme a le mérite de renouer avec une narration plus canonique, en relatant le vol de tableaux, durant les années 70, par un père de famille s'improvisant braqueur de haute volée. Bien entendu, Reichardt va rapidement désactiver les ressorts classiques du genre, dans un mélange de comédie et d'humour à froid où Josh O'Connor, déjà en Compétition il y a quelques jours avec The History of Sound, offre un pastiche d'Eliot Gould version le Privé assez savoureuse. On peut néanmoins se questionner sur le sens du rythme et les choix de montage, qui frôlent parfois l'anémie.
Aujourd'hui, j'irai grapiller quelques films supplémentaires :
Amélie et la Métaphysique des tubes de Maïlys Vallade et Liane-Cho Han, L'Homme qui a vu l'ours qui a vu l'homme de Pierre Richard et Honey don't d'Ethan Coen.
L'intégralité des films présentés dans ces comptes rendus est consultable ici.
En attendant, voici mon Palmarès personnel :
Palme d’Or : L’Agent Secret de Kleber Mendonça Filho
Grand Prix : Valeur sentimentale de Joachim Trier
Prix du jury : Sirat d’Oliver Laxe
Interprétation féminine : Nadia Melliti dans La Petite Dernière d’Hafsia Herzi
Interprétation masculine : Fares Fares dans Les Aigles de la République de Tarik Saleh
Mise en scène : Resurrection de Bì Gàn
Scénario : Un simple accident de Jafar Panahi
Demain, retour à la réalité.
Merci aux lecteurs qui auront tenu jusqu'au bout de ce journal, à vos retours sur les réseaux sociaux ou lors des rencontres sur Cannes. C'est toujours autant un plaisir que de partager cette folie cinéphile, et j'espère reconduire l'expérience l'année prochaine !