Ege Bamyası
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Ege Bamyası

Album de Can (1972)

Presque un sans faute

Can est un groupe de krautrock, c'est-à-dire du rock progressif allemand des années 70 pour faire simple.

Can a longtemps été un genre de mot de e de reconnaissance dans le milieu des érudits avertis et un peu snobs. Le groupe aura influencé, entres autres, Sonic Youth et Radiohead. Même Ye l’aura pillé, c’est vous dire.

Can a la particularité de rendre zinzin ces chanteurs. Le premier, un noir américain, jettera l’éponge après un album et demi pour retourner aux États Unis se faire soigner. Le second, un japonais, a été ramassé par le groupe dans la rue. Cet Axe nouvelle mouture tiendra le temps de trois albums et demi dont celui qui nous intéresse aujourd’hui.

Ege Bamyasi (gombo égéen en turc (le gombo est un légume)) est le quatrième album du groupe après Tago Mago, double album très prisé par ailleurs. La pochette est la photo d’une vrai boîte de conserve trouvé par le batteur dans une épicerie turc. Dans cette langue, Can peut signifier esprit, âme ou simplement vie. En anglais, Can signifie boîte mais aussi « peut » comme dans « il peut ». Il y a donc là l’idée de pouvoir. C’est fou comme ce petit mot de trois lettres peut avoir, dans différentes langues, des sens si profonds et différents.

Pour cet album, les teutons inaugurent l’Inner Space. Ce sera dès lors le studio personnel du groupe, un genre de laboratoire de musique alchimique. Depuis leur précédent opus, les moyens techniques ont été améliorés même si ils n’utilisent encore qu’un 2 pistes (!) pour les enregistrements.

Ce qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles de l’auditeur à la première écoute de cette galette, c’est la batterie. Dans quasiment tous les morceaux, c’est elle qui tient la baraque, qui mène le groupe, le pousse en avant et établit de solides fondations. Jaki Liebezeit est ce batteur inimitable, mi-homme mi-machine, véritable métronome humain aux rythmes si caractéristiques et très éloignés du traditionnel poum-tchak de la musique rock. Les autres membres du groupe n’ont plus alors qu’à virevolter autour et brandouiller leur instrument, ce qui s’entend particulièrement dans le premier morceau.

Les morceaux courts sont ceux où le groupe tire le mieux son épingle du jeu mais c’est un peu du Can Rider’s Digest, du Can gentillet, policé et au final loin des expérimentations capillotractées même si cela reste de très bonne facture avec notamment des changements de tonalité étonnants et finalement bienvenus. Il faut dire quand même que les gars ne sont pas des manchots surtout à un niveau que nous qualifierons de théorie harmonique. Deux de ces titres sont d’ailleurs parus en 45 tours avec un certain succès d’ailleurs.

Quand le groupe se rend compte qu’il lui manque une dizaine de minutes de matières pour boucler l’album, il se lance dans une improvisation : c’est Soup et c’est, à nos yeux, là que le bat blesse. Certes, ce morceau est loin d’en être (de la soupe (ou alors de la soupe aux cailloux sauce poussière)). Durant la première partie, tout roule, Jaki mène la danse jusqu’au crescendo de mi-parcours. Après, et durant cinq bonnes minutes, c’est la débandade. Le groupe ne semble pas savoir quoi faire. Chacun lance des idées musicales, comme ça en l’air mais la pâte ne lève pas. C’est au mieux un soufflet qui gonfle et gonfle avant de retomber, plein qu’il était de vide.

Cet album n’aurait-il pas été fait et bouclé dans la précipitation avec une date de sortie butoir ? L’Inner Space ne serait-il pas un peu trop confortable pour les membres du groupe ? Toute contrainte à la création peut et doit amener le créateur à déer ces limites. L’art sans contrainte est souvent peut convainquant.

Mais ne boudons pas notre plaisir, c’est du bon Can, peut-être juste pas assez cuit à notre goût.

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le 30 mars 2025

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Joe Penhauer

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