Eve
6.6
Eve

Album de The Alan Parsons Project (1979)

I've done everything but I can't get it right

Ah, il faut dire que 1979 a sorti quelques albums capitaux dans l'histoire de la musique populaire: The Wall de Pink Floyd, Breakfast in America de Supertramp, Three Imaginary Boys de The Cure, London Calling des Clash, Unknown Pleasures de Joy Division, et Highway to Hell de AC/DC... et puis à côté de tout ça, il y a Eve du Alan Parsons Project, quatrième album studio du groupe qui a la réputation... ben de se taper une réputation de merde, tout simplement, dont le véritable motif m'est encore inconnu. Pourtant le Project était en plein milieu de son âge d'or, il venait de sortir l'excellent Pyramid de 1978, talonné à son tour par l'emblématique I Robot de 1977 et l'un des plus grands chefs-d'œuvre du rock progressif (et donc du rock), Tales of Mystery and Imagination de 1976. En plus, l'année suivante il sortirait un autre album bien acclamé de sa discographie, The Turn of a Friendly Card. Pourquoi une telle perte de niveau perçue, alors, me demanderiez-vous? Je ne sais pas. C'est vrai qu'honnêtement Eve n'est pas un chef-d'œuvre de rock progressif, loin de là, car à ce point, le Project est entré dans une sphère décidément plus pop, pourtant assez absente à mon goût dans leur opus précédent, Pyramid. Bon, si on laisse tomber la dimension prog, ça n'infirme pas non plus que le quatrième disque du groupe reste un (très) honorable album de pop rock qui a quelques bas, mais plein de hauts aussi.

Chaque album du Project est conceptuelle de nature, tout le monde le sait, et la première question qui nous viendrait à l'esprit pour expliquer l'accueil critique négatif est: quelle est la thématique de ce disque? Réponse: les forces et les faiblesses des femmes! Ouh, il fallait oser, oui, car la pochette et certaines chansons du disque reçurent la foudre des critiques, lesquels pensaient voir en eux un sexisme affligeant et une misogynie mal assurée. Mais bordel, non, pas du tout! Si la pochette, signée Hipgnosis (autrement dit les rois du symbolisme), semble inoffensive au début (elle n'est pas très belle, ne nous mentons pas), on s'aperçoit pourtant que les voiles de ces demoiselles semblent éclipser des boutons et d'autres blessures faciales (autrement dit, des aspects qui impactent leur esthétique). Pour les cons de critiques de l'époque comme Robert Christgau (pour vous dire à tel point ce dernier était un connard sans talent de première, n'importe qui d'entre vous réussirait à l'émuler en écrivant deux mots) ou Lester Bangs (le respect de l'artiste, plus que celui de la musique, n'était pas sa première priorité), c'était une preuve évidente de sexisme, mais justement, c'était ça qui faisait le génie de la couverture, car grâce à cela, elle dénonçait par la même occasion l'excès d'importance conféré par la société à des éléments aussi peu signifiants que des aspects esthétiques. Et toc, prends ça dans ta gueule, Robert!

Bon, assez rigolé, parlons un peu de l'essence de cet album, c'est-à-dire la musique. Est-elle aussi dégueulasse que l'on nous le dit? Evidemment, si vous n'aimez pas le pop rock ou la pop progressive, ça dépend des goûts, mais franchement, la musicalité d'Eve est assez proche de celle présente sur I Robot et Pyramid, tout en étant, effectivement, un peu plus pop. Et qu'est-ce que ça commence bien! L'album s'ouvre sur l'un de leurs instrumentaux les plus acclamés, Lucifer! Plus dansant, il est vrai, mais contenant le même niveau de compétence instrumentale que d'habitude, Lucifer est pourvu d'un rythme implacable et puissant, lui-même accompagné de superbes motifs de guitare de la part de IanBairnson et de fills de batterie imposants et alléchants, qui en font un instrumental très réussi. Et même si sa répétitivité est indéniable, force est de constater qu'elle n'en compromet aucunement la qualité. La deuxième piste, You Lie Down With Dogs, est très représentatif d'une nouvelle sensibilité du groupe quant au pop rock, extrêmement bien mis en lumière dans ce chouette petit morceau très accrocheur. Pour ceux qui voient dans cet album une misogynie quelconque, les paroles de cette chanson n'aident pas, car même si elles sont intentionnellement chantées d'un point de vue macho, c'est effectivement dur de le percevoir au premier abord. Même chose, si ce n'est pire, sur la piste suivante, I'd Rather Be A Man, qui, cette fois déçoit vachement au niveau musical. La nappe de synthés animant la mélodie principale est un peu dégueulasse, et le morceau souffre énormément de sa répétitivité, bien que le chant de David Paton soit très acceptable, voire meilleur que celui présent sur What Goes Up. Au final, rien de bien méchant, hein, mais par rapport à la qualité des trois albums antérieurs, c'est une déception. La chanson suivante, en revanche, devrait me plaire, car elle met en lumière ce que le Project sait faire le mieux: les ballades symphoniques. Et pourtant, j'ignore pourquoi, You Won't Be There manque sérieusement de nac pour en faire une piste aussi convaincante que Don't Let It Show (chanté par le même vocaliste, Dave Townsend), quoiqu'elle reste pour autant agréable à écouter. Je reconnais aussi la beauté de ces parties symphoniques, qui restent à la hauteur des arrangements orchestraux typiques du Project. Winding Me Up, en revanche, est un morceau pop rock symphonique très très entraînant qui présente une multitude d'aspects intéressants pour une chanson, en théorie, aussi simpliste. La boîte à musique qui l'inaugure ainsi que la mélodie de cordes sont très réussies, ainsi que le refrain, très poppy mais tout aussi accrocheur, sans compter un autre moment structurellement prog: vers la fin du morceau, le thème principale est répété par des cordes, subséquemment par un hautbois, puis par des piccoli et de nouveau par des trompettes. Lyriquement, il ne s'agit pas du morceau le plus original de l'album, mais musicalement, il reste très très intéressant. Ensuite, Eric et Alan mettent à exécution une autre chanson résolument symphonique, Damned If I Do, chantée par Lenny Zakatek et contenant d'excellentes parties de cordes ainsi qu'un très bon solo de guitare de la part de Bairnson, tout cela inscrit dans une sphère plus pop. La piste successive, Don't Hold Back en revanche, est plutôt décevante, présentant un riff de guitare acoustique tout sauf original et des parties vocales (assurées par Clare Torry, la chanteuse sur le magnifique The Great Gig in the Sky de Pink Floyd!) sympathiques mais peu inspirées. Ce n'est pas foncièrement mauvais, mais c'est loin d'être excellent. Ce qui l'est, cependant, c'est l'instrumental suivant, Secret Garden, qui selon moi dée le niveau de Lucifer. Les parties de piano, signées Master Woolfson, sont simples mais entraînantes et relaxantes, impression aussi dégagée par les fructueuses inclusions de tambourin et les joyeuses parties de cordes. De même, les harmonies des choeurs présents, assurés par Chris Rainbow (chanteur sur The Single Factor et Stationary Traveller de Camel) représentent un très bon hommage aux Beach Boys, ce que l'on ma souvent dit à propos de cet instrumental tout à fait convaincant. Toutefois, la pièce de résistance d'Eve est sa conclusion, la mirifique ballade If I Could Change Your Mind, dont le chant est assurée par la belle voix de Lesley Duncan (choriste sur le remarquable Us And Them de Pink Floyd). Master Woolfson nous signe ici aussi l'une de ses plus mémorables mélodies au piano, soutenu par un orchestre maîtrisé. Les ponts sont d'une majesté particulièrement comparable à ceux d'Us And Them (tiens, quelle coïncidence!), irablement bien rendue par l'inclusion d'un solennel orgue de cathédrale qui donne à ce morceau toute sa grandeur. Les soli de guitare de Bairnson sont de très bon goût, donnant ce côté romantique, parfait pour un petit slow. C'est d'ailleurs aussi l'orchestre qui l'accompagne en fin de morceau, constituant une belle et légèrement mélancolique conclusion à Eve.

1) Lucifer (10/10)

2) You Lie Down With Dogs (8/10)

3) I'd Rather Be A Man (6/10)

4) You Won't Be There (7,5/10)

5) Winding Me Up (9/10)

6) Damned If I Do (10/10)

7) Don't Hold Back (6,5/10)

8) Secret Garden (10/10)

9) If I Could Change Your Mind (10/10)

(Le gras indique mon morceau préféré de l'album)

Somme toute, j'apprécie ce quatrième disque, pas nécessairement en tant qu'album prog mais en tant qu'album pop rock, car le côté aventureux des trois premiers n'y est pas aussi manifeste, ce qui n'enlève pourtant rien à la solidité de certains morceaux et la qualité des arrangements symphoniques, assez présents tout au long. En conclusion, alors, je n'aurai pas trop de mal à lui attribuer un 8,5/10.


P.S.

Beaucoup de gens trouvent que If I Could Change Your Mind ressemble à Message Personnel de Michel Berger... (ce qui explique la note un peu basse de ce morceau) mais pourra-t-on m'expliquer les similitudes? Moi, honnêtement je n'en vois aucune.

8
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le 24 avr. 2025

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Herp

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