Lightbulb Sun par Benoit Baylé
La magnifique révélation Stupid Dream, premier résultat de la collaboration entre Porcupine Tree et le label indépendant Snapper, ouvre une nouvelle voie au rock progressif teinté de psychédélisme du quatuor, qui, n'en déplaise aux puristes de la période Delerium, commençait à tourner plus en rond que l'éternel Ourobouros. Davantage encrée dans une pop mélancolique exaltée par le renversant et désenchanté OK Computer de Radiohead, la formation anglaise s'était, grâce à son chef d'oeuvre de 1999, offert une place de choix dans les excitantes nouveautés progressives de cette fin de millénaire. Plus qu'avec Signify, le sel de Porcupine Tree, soit une mélancolie timorée (jamais pusillanime) alliée à des riffs ravageurs et un climat floydien, est né avec Stupid Dream. Le subséquent Lighbulb Sun est dans la droite lignée de son prédécesseur : un magnifique recueil de pop-songs stupéfiantes, et une grandiose pièce progressive de treize minutes.
Les guitares acoustiques en introduction du premier morceau, éponyme par ailleurs, annoncent une intimité toute nouvelle pour Porcupine Tree. L'auditeur, instantanément touché par cette production chaude et ces ambiances voluptueuses, est convié dans un sanctuaire à la familiarité rayonnante, comparable à la chaleur bienveillante d'un feu de cheminée un soir d'hiver. Les pop-songs sensibles de Stupid Dream se transorment en odes lyriques souvent arabisées par divers instruments exotiques, comme le persique Hammered Dulcimer ou le guinéen Guembri. Si le titre des chansons suppose une atmosphère noire et cafardeuse, Lightbulb Sun est en réalité plus lumineux qu'il n'y paraît. Certes, quelques piques dépressives apparaissent par-ci par-là ("Hate Song", "How Is Your Life Today"), mais l'heure est plus à l'espoir qu'à la désolation. La dénomination éloquente du titre "Last Chance To Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled" et la chanson elle-même, calme et reposante malgré l'enjeu pressant, affluent dans ce sens.
Par la suite, l'expectative se fait parfois majestueuse, notamment lorsque les cordes du Minerva String Quartet se font subtilement remarquer : la mirifique "The Rest Will Flow" est à ce titre un des sommets d'émotion parmi les dix chansons, mais le véritable zénith de la collaboration entre Porcupine Tree et le Quartet réside dans la pièce de résistance de treize minutes, "Russia On Ice". Son introduction floydienne reste dans la tradition Wilsonnienne engagée dans The Sky Moves Sideways et Stupid Dream mais dès l'arrivée des premiers retentissements de violons, la composition prend des allures divines. Les sept premières minutes de "Russia On Ice" sont d'une beauté tranquille rarement atteinte, beauté bientôt détruite par des guitares tranchantes et une fin apocalyptique, claironnant le virage metal qu'adoptera le groupe deux ans plus tard.
La notoriété de Porcupine Tree ne se manifestera qu'en 2002 pour In Absentia, laissant pour oubliés les mirifiques efforts antérieurs. Lightbulb Sun, au même titre que Stupid Dream, sont deux chef-d'oeuvres progressifs d'une qualité rare, et leur omission aux côtés des plus proverbiaux In Absentia ou Deadwing est un tort qu'il faut abolir.