Le Soul Brother N°1 explose tout !

L’Apollo Theater situé sur la 125e Rue à Harlem était à l’époque une étape incontournable pour tous/toutes les artistes de rhythm’n’blues et de soul. Il était donc logique que Mr Dynamite lui-même finisse par y enregistrer ce qui va devenir son 1er album live. James Brown était à ce moment-là plus populaire que toutes les stars afro-américaines, les Sam Cooke, Jackie Wilson, Bobby Blue Bland ou encore Ray Charles ! Autant dire des monstres de talent ! Sa réputation scénique est insurable, la scène est sa maison et il y déploie une énergie extraordinaire, alliée à un professionnalisme qui ne souffre aucune discussion : Brown était connu pour être aussi exigeant envers lui qu’il l’était avec ses musiciens qui devaient lui obéir au doigt et à l’œil ! Les médiocres et les fainéants pouvaient pointer ailleurs mais ils n’avaient pas de place dans le groupe de James Brown. Malgré tout ça, le fondateur de King Records, sa maison de disques, Syd Nathan, ne croit pas une seule seconde au succès d’un disque live (pas si fréquent à l’époque d’ailleurs). Nathan avait signé Brown et son groupe en 1956 avec un 1er 45 tours, Please, please, please, qu’il trouvait stupide, répétitif…Le disque s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires et a lancé la carrière de James !

C’est en mai 62, alors qu’il est la vedette de l’Apollo pendant une semaine, que Brown a l’idée d’enregistrer un de ses concerts afin que le plus grand nombre puisse se rendre compte de l’intensité redoutable de ses « shows », non pas des simples tours de chant, pas du tout, des spectacles où tout est préparé, pensé du début à la fin (avec la sortie de scène à rallonge qui sera sa marque de fabrique durant toute sa carrière et qui faisait exploser la salle !). Même s’ils sont absents de la pochette car Brown est LA vedette, il est entouré d’un excellent groupe, comme toujours dans sa carrière, en particulier son groupe vocal, The Famous Flames (Bobby Byrd, Bobby Bennett et Lloyd Stallworth), qui a joué un rôle important dans le Live at the Apollo et est inclus avec Brown par le MC Fats Gonder dans l'intro de l'album. Durant l’été 62, il part en tournée avec les artistes de Motown. C’est un événement car ce sera la seule fois que la Motortown Revue aura pour tête d’affiche un artiste qui ne soit pas signé sur le label de Berry Gordy. Brown était iratif du son de la Motown, à la fois sophistiqué et accessible à la 1ère écoute, séduisant. Personne ne croyant à la réalisation d’un album en concert, ni parmi les musiciens, ni chez sa maison de disques, James s’est dit qu’il fallait qu’il le fasse absolument !!! Le seul qui le suit est Bobby Byrd. King record refuse l’idée de cet album ? Qu’à cela ne tienne, Mr Dynamite étant obstiné, il va financer lui-même l’enregistrement de ce live ainsi que la location de l’Apollo (5700 $ de sa poche quand même) pour le mois d’octobre 62, s’associant avec son directeur de tournées, Ben Bart, qui devient alors aussi son manager et partenaire financier.

Dès le 19 octobre 1962, la James Brown Revue donne 2 concerts par jour à l’Apollo. Le King of Soul accorde la plus grande importance à ses performances bien sûr, mais aussi et surtout, à la position des micros, aux costumes de la troupe. Tous les employés de l’Apollo doivent avoir une tenue impeccable et gare à celui qui ne respecte pas les ordres et se laisse aller ! En une semaine, vingt concerts sont donnés. Le 24 octobre, le record est battu, 4 représentations dans la même journée, qui dit mieux ??? Tout est enregistré, pour avoir un maximum de matière. Le matériel d’enregistrement n’étant pas toujours fiable, James Brown veut mettre toutes les chances de son côté. Le public est surexcité, les disc-jockeys locaux ont annoncé sur les ondes radiophoniques qu’il y aurait des enregistrements live durant les concerts. C’est Freddy King, Solomon Burke, l’humoriste Pigmeat Markham et The Valentinos qui assurent la première partie. Sam Cooke en personne est présent dans la salle. Fats Gonder, le maître de cérémonie, chauffe la salle et c’est parti : il énumère de façon survoltée les surnoms et autres faits de gloire du « Hardest working man in show-business », un autre de ses surnoms célèbres ! L’ambiance est torride dans la salle, on a presque l’impression de l’annonce d’un combat de boxe et on se dit que c’est à cela que va ressembler ce concert. On pourrait pratiquement sentir la sueur. Et enfin, le voilà…Le Godfather of soul en personne, prêt à l’attaque, il danse comme jamais personne n’avait dansé (Les chorégraphies de Michael Jackson lui devront d’ailleurs beaucoup). Il attrape le micro et commence I’ll go crazy, la salle explose littéralement, les femmes hurlent et n’arrêteront pas durant tout le concert. Brown sait d’ailleurs parfaitement comment susciter ces cris et jouer avec. Il se démène avec une énergie folle, tombe à genoux, se relève, transpire abondamment, il donne tout pour son public. Les morceaux s’enchaînent à une vitesse dingue, James Brown prend à peine le temps de respirer entre chaque chanson. Le plus dingue, c’est que James garde ses tubes pour des medleys, le plus long ici commençant et finissant par Please, please, please laissant le public quasiment en transe. Ce travail impeccable est très bien retranscrit sur le disque. C’est Hal Neely, l’ingénieur du son de King records qui se charge du mixage final. C’est lui qui finit par convaincre Syd Nathan de publier l’album, impossible qu’une telle bombe reste dans un tiroir ou sur une étagère à prendre la poussière.

La bombe en question finit par être commercialisée en janvier 63. Même Syd Nathan doit s’y résoudre, voyant de plus en plus les réactions excitées de nombreux DJ. Quel single sortir en 1er de cet album ? Nathan se pose la question et elle est vite résolue par les DJ eux-mêmes qui diffusent l’INTÉGRALITÉ de l’album sur les ondes, le changement de la face A à la face B permettant de er des pubs !!! A partir de là, Nathan fera une confiance aveugle à Brown, pas le choix, il a compris à quel point il s’était trompé. Brown a gagné son combat de boxe par K.O. Le Live At The Apollo est au sommet des ventes, il transcende les barrières raciales, fait l’unanimité. C’est totalement inédit pour une musique Soul brute et sans concessions, imposant un rythme irrésistible qui donne envie de bouger tout ce qu’on peut dans la seconde. En mai 1963, les blancs se mélangent aux noirs, et se pressent à L’Apollo pour entendre et voir en direct ce qu’ils viennent d’écouter sur le disque, un spectacle unique en son genre. Wayne Kramer le guitariste du MC5 a déclaré que Brown et son live at the Apollo avait été la source d’inspiration majeure pour le célèbre Kick out the jams. Sûr et certain que cet album a aussi influencé des artistes comme Bruce Springsteen, Prince aussi. Le King of Soul a finalement réussi son pari et a enregistré le plus grand album live de l’histoire de la musique populaire. L’histoire du Roi de la Soul est en marche, chanson après chanson, il se détachera progressivement de ses contemporains à la recherche du groove suprême. Brown est revenu plusieurs fois dans cette salle de l’Apollo qui lui a porté chance, pour y enregistrer d’autres live (1968, 71 et 95) mais c’est bien celui de 62 qui est entré dans les mémoires. Une pure décharge de groove et d'adrénaline.

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le 21 mars 2025

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JOE-ROBERTS

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