New York
7.4
New York

Album de Lou Reed (1989)

Terre promises des bobos branchés et carrefour mondial des inégalités

En 1989, lorsque Sylvia Reed suggéra à son époux de donner à son prochain album le nom de New York, Lou se montra sceptique. D’habitude il n’avait pas de réticence à suivre ses conseils, ce n’était pas par hasard qu’il lui avait confié les rênes de sa carrière. Mais tout de même, prétendre synthétiser son bastion adoré, sa mégalopole multiculturelle au centre du monde en un disque de rock, même à lui ça paraissait prétentieux. Pour Sylvia, c’était pourtant une évidence. Après tout, Lou souhaitait chroniquer le quotidien new-yorkais à travers ses habitants, comme l’avait fait James Joyce pour Dublin dans son célèbre recueil de nouvelles, The Dubliners. On avait connu entreprise plus humble, et pour assumer l’ambition d’un tel projet, le sobriquet de la Grosse Pomme semblait plutôt adapté. New York se compose donc de quatorze morceaux, longuement mûris pendant trois années, qui marquent la fin d’une disette créative dont on ne voyait plus le bout. Terminées, les complaintes nombrilistes qui étaient aux oreilles ce que le sirop pour la toux est aux papilles. Rien qu’en un couplet, New York fait presque oublier toutes les âneries de Mistrial.

« Caught between the twisted stars / The plotted lines the faulty map / That brought Colombus to New York »

Evacuons tout de suite le relatif défaut de ce superbe disque. New York est d’un classicisme exempt de toute prise de risques. C’est du rock carré d’une efficacité redoutable, dont l’élément musical le plus original est ce chant parlé qu’adopte Lou Reed et qui lui va à ravir. Mais comment lui en faire le reproche, quand les chansons sont d’un tel calibre. Lou Reed parvient enfin à concilier sa maturité tant revendiquée avec les obsessions saines de sa jeunesse. Les laissés pour compte, qui survivent avec difficulté dans l’hostilité d’une ville immense qu’il connaît comme sa poche, sont à nouveau au centre de ses préoccupations. Mais voilà qu’il nuance la noirceur de son tableau avec un supplément d’âme qu’on n’attendait pas forcément chez lui. Oui, New York est doté d’une conscience sociale, et de la part du chantre du nihilisme et de la misanthropie, on a le droit d’être surpris. Lou Reed fait son Springsteen, mais à l’inverse du Boss il ne nous laisse pas le loisir de tirer nos propres conclusions. Sans ambages, il étale des opinions conventionnelles certes, mais qui aujourd’hui lui vaudrait d’être accusé de faire allégeance à l’extrême-progressisme. Son New York, terre promise des bobos branchés, est aussi le carrefour mondial des inégalités, dont la légendaire insécurité excite ou effraie les potentiels touristes du reste de l’Occident. La pauvreté y est cultivée, puis criminalisée pour alimenter les discours racistes et justifier les politiques répressives. Romeo Had Juliette est une introduction parfaitement représentative de ce qui va suivre. En les nommant comme les héros tragiques de Shakespeare, Lou Reed iconise son couple d’anonymes désœuvrés qui se démène en bas de l’échelle. Au contraire, sur Good Evening Mr. Wilheim et Sick Of You, lorsqu’il mentionne des personnalités médiatiques, influentes ou en position de pouvoir, c’est pour les invectiver, voir les tourner en ridicule. Dans Endless Cycle et Dirty Boulevard, il fait état de carcans familiaux que cette société bousille par millions, condamnant aussi les générations à venir. Il dévoile même une sensibilité écolo avec Last Great American Whale. New York révèle un Lou Reed volubile, concerné par à peu près tout ce qui l’entoure. C’est un album que j’adore, d’autant plus qu’il intervient comme un miracle au moment où on pouvait penser que Lou n’avait plus l’ombre d’un vers correct à nous offrir.

Extrait du podcast "Lou Reed, le pire d'entre eux", émission complète disponible ici :

https://graine-de-violence.lepodcast.fr/lou-reed-le-pire-dentre-eux-integral

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