Les Beatles font leurs Rolling Stones.
C'est avec cette remarque (fausse, et Dieu sait que j'adore la bande à Jagger) que j'ai découvert, très jeune, Revolver des Beatles. Cocasse lorsqu'on sait les liens étroits entre les deux groupes (et qu'avec Their Satanic Majesties Request une année plus tard, ce sont les Stones qui vont marcher sur les mêmes traces que la troupe à McCartney). Si je l'ai d'abord considéré comme un album, certes remarquable, mais dans la lignée de ceux qui vont suivre (voire de celui qui précède), d'autres écoutes m'ont poussé à donner une tout autre estime à ce bijou.
Derrière cette sublime pochette que l'on doit à Klaus Voormann, un bassiste proche du groupe, se cachent 35 minutes de pur bonheur de rock psychédélique. Leur septième album en 4 ans marque une révolution pour le groupe, dans les sonorités déjà, poussant plus loin le processus commencé avec Rubber Soul, ainsi que dans la créativité, eux qui ont été récemment initiés à diverses drogues et marqués par divers voyages. C'est aussi la fin des concerts, le dernier (sans compter leur réunion sur le toit d'Apple un peu plus tard) se déroule durant l'enregistrement de Revolver on parle de lassitude du groupe, qui en a peut être marre des hurlements hystériques qui gâchent chaque enregistrement, mais aussi d'une musique plus complexe (difficile donc à bien reproduire sur scène). Enfin, George Harrison s'impose aussi un petit plus, signant trois chansons parmi les 14, Ringo chante mais devra attendre encore un peu pour voir une de ses compositions dans un album du groupe.
C'est même Georgie qui ouvre l'album avec Taxman, un classique bien rock s'en prenant aux impôts qu'ils trouvent bien trop élevés. Le guitariste continue ensuite sur la lignée de Norwegian Wood du précédent album en imposant une forte influence indienne, qui se mêle parfaitement avec la sonorité rock du groupe. Love You To va même plus loin que celle-ci, et peu de trace de folk ici. Enfin I Want to Tell You, rythmé par une superbe partition de piano justifie, si besoin, l'influence grandissante d'Harrison au sein du groupe.
Si le début de l'âge d'or des Beatles est difficile à définir (celui-ci, Rubber Soul ?), Revolver en fait indiscutablement partie. En plus d'avoir une réelle cohésion, l'album regorge de pépites, rien n'est à jeter et l'alchimie du groupe est parfaite, tout comme la production très travaillée. Toujours capable d'adoucir nos cœurs, le quatuor montre (si besoin) qu'il est aussi capable de lâcher les chevaux, d'écrire des paroles poussées ou de repousser les frontières musicales avec une créativité hors-norme, des ajouts d'instruments toujours bien pensés ou des idées semblant sortir de nulle part mais formant une parfaite alchimie avec les autres éléments.
Malgré ça, ils sont toujours capables de s'éclater, comme lorsqu'il file le micro à Ringo qui va raconter son histoire de sous-marin jaune, avec Donovan pour lui répondre en fond. De toute façon on pourrait toutes les citer mais on trouve dans Revolver certains des sommets du groupe, et même si ça ne l'est pas, elles restent fantastiques et s'enchaînent avec une incroyable fluidité, et une production hors-norme (bon, je vais quand même essayer d'éviter les répétitions, même si ce n'est pas facile ici !!).
Si Harrison nous met une première claque, que dire de McCartney avec Eleonor Rigby, magnifique chanson sur la solitude avec un arrangement de cordes fabuleux ainsi que Lennon avec le léger et expérimental I'm Only Sleeping, ode à la paresse avec le principe de la bande inversée qui prend tout son sens, notamment sur le solo. La suite est du même ordre, à l'image du magnifique Here, There And Everywhere avec McCartney au sommet, des chœurs mémorables ainsi qu'une émotion forte, du léger Good Day Sunshine ou des efficaces Docteur Robert et She Said, She Said, écrit avec une pensée pour Peter Fonda.
Le sublime n'est jamais bien loin dans cet album, tel le magistral For No One. Ici c'est baroque, mais sans le traditionnel basse / batterie et la chanson est rythmée par un clavicorde, donnant une sonorité unique. C'est aussi ça que dégage Revolver dans sa globalité, une atmosphère unique, comme venue d'une autre galaxie, un enchaînement fluide alors qu'aucune chanson ne se ressemble vraiment, et une émotion qui jaillit à chaque note jouée.
Et Tomorrow Never Knows...
Wouah.
Ses boucles sonores, le tampura d'Harrison, la basse et la batterie qui résonnent à l'infini, les flûtes, les violons, les rires, le chant de Lennon, tout cela étant parfaitement mis bout à bout pour offrir une composition semblant venir de nulle part.
La perpétuelle révolution musicale orchestrée par les Beatles prend une nouvelle tournure avec Revolver, repoussant les frontières, avec un quatuor qui casse l'idée d'un genre musical, préférant les mixer, avec une créativité folle et donnant, à la fois un album cohérent avec une parfaite alchimie (j'oserais dire le meilleur du groupe) et un lot de pépites inoubliables, un pur concentré rock, psychédélique, innovant et magnifique.
Face A -
Taxman
Eleanor Rigby
I'm Only Sleeping
Love You To
Here, There And Everywhere
Yellow Submarine
She Said She Said
Face B -
Good Day Sunshine
And Your Bird Can Sing
For No One
Doctor Robert
I Want To Tell You
Got To Get You Into My Life
Tomorrow Never Knows
Signée John Lennon :
Si Rubber Soul a été l'album de l'herbe, Revolver est celui de
l'acide.