En 2012, après plusieurs années de silence discographique, Cat Power revient là où on ne l’attendait pas. Exit les balades acoustiques pleines de spleen et d’introspection brumeuse : Sun marque une rupture, une réinvention sonore et personnelle. L’album ne se contente pas de montrer une nouvelle facette de Chan Marshall – il dévoile une transformation, radicale et assumée, à la fois musicale, émotionnelle et existentielle. Et c’est précisément ce qui en fait sa force.
Pour beaucoup, Cat Power reste l’incarnation de la fragilité, de la mélancolie à fleur de peau, de cette folk introspective qui a fait sa renommée avec des albums comme Moon Pix ou You Are Free. Avec Sun, elle brouille les pistes : elle prend le contre-pied de cette image, injecte des éléments électroniques, des synthés, des rythmes motorik, et surtout, une énergie de conquête. Un choix risqué, mais qui porte ses fruits.
Premier fait marquant : elle écrit, compose, arrange et produit l’intégralité de l’album – une prise de contrôle rare dans une industrie encore trop souvent frileuse face à l’autonomie artistique des femmes. Cette liberté nouvelle infuse chaque morceau. De Cherokee à Peace and Love, en ant par Ruin, Sun est traversé par une vitalité organique, comme si Chan Marshall cherchait à tout prix à se libérer d’une peau devenue trop étroite.
Pour autant, Sun ne renie pas les émotions profondes qui ont toujours nourri l’œuvre de Cat Power. Elles sont là, sous-jacentes, filtrées par des nappes de synthé et des rythmiques hypnotiques. L’émotion ne e plus par les silences ou les respirations fragiles, mais par une tension interne qui donne à l’album une dimension presque paradoxale : lumineux dans la forme, mais toujours empreint d’une certaine gravité dans le fond.
3,6,9 en est un parfait exemple : un morceau aux allures presque pop, répétitif et léger en surface, mais qui laisse transparaître une quête, un manque, un besoin de structurer le chaos intérieur. Même Ruin, l’un des morceaux les plus accrocheurs de l’album, déploie un propos amer sur l’inconscience de ceux qui se plaignent sans voir le monde autour d’eux – “Bitchin', complainin’ / when some people ain't got shit to eat”.
Il serait malhonnête de qualifier Sun d’album parfait. Certains morceaux s’étirent un peu trop, et la linéarité de certaines textures peut finir par émousser l’attention de l’auditeur·ice. L’ambitieuse Nothin But Time, longue de plus de dix minutes, divise : certains y verront une prouesse libératrice, d’autres un exercice de style trop étiré. Mais cette imperfection est à l’image de l’artiste : brute, honnête, entière.
On ne peut que saluer la cohérence globale de l’œuvre, sa capacité à maintenir une identité malgré les expérimentations. Sun n’est pas un collage disparate de tentatives électroniques, c’est un bloc, un manifeste personnel. L’intervention d’Iggy Pop – figure du rock libre et indomptable – sur Nothin But Time n’est d’ailleurs pas anodine : elle vient renforcer cette idée d’affranchissement, de age de témoin.
Ma note de 8 sur 10 reflète un équilibre entre iration et lucidité. Sun est un album important dans la carrière de Cat Power, pas seulement pour ce qu’il est musicalement, mais pour ce qu’il symbolise : une réappropriation totale de sa voix, de son corps artistique, de son autonomie. Il n’est pas révolutionnaire dans l’absolu, mais profondément révolutionnaire pour elle – et c’est ce qui le rend si singulier.
En somme, Sun est un disque de transition, un cri de renaissance à la fois doux et déterminé. Il ne laisse pas tout le monde à l’aise – et c’est ce qui fait sa beauté. Car au fond, c’est peut-être ça, le propre des grandes œuvres : ne pas chercher à plaire, mais à exister pleinement.