Pour RFI Musique :
Véritable légende de la musique minimaliste, le compositeur et multi-instrumentiste Yann Tiersen est souvent ramené, à son grand dam, à la bande originale du film Amélie Poulain qui fit sa renommée internationale dans les années 2000. Le Brestois de naissance, aujourd’hui « expatrié » sur l'île d’Ouessant, a pourtant connu une carrière d’une incroyable richesse, de ses débuts dans l’univers classique du conservatoire à la création de sa propre esthétique, mêlant acoustique, électrique et électronique, en ant par son amour pour le rock né dans la bouillonnante scène rennaise des années 80. Ses innombrables collaborations - avec Liz Fraser (Cocteau Twins), Shannon Wright, Dominique A ou Miossec - l’ont amené à explorer les champs du possible de la musique, se renouvelant sans cesse malgré son amour de la répétition.
Depuis la sortie du disque 11 5 18 2 5 18 (2022), son projet le plus électronique à ce jour, Tiersen n’avait plus livré d’album solo. Et pour cause. Partis en mer avec sa femme Quinquis, également artiste mêlant électro et langue bretonne, à bord du voilier Ninnog(« hauteur » en breton), ils réalisaient une tournée singulière, de l’Irlande aux Îles Féroé en ant par les Shetland.
Durant cet audacieux voyage « loin du monde » mais pavé de concerts dans des endroits improbables - pubs, églises, ou éco-villages - Tiersen s’inspire de ce qu’il perçoit, de ceux qu’il rencontre, « remettant en question les cadres capitalistes de la musique et de la vie elle-même », avec poésie. Un engagement déjà perçu dès 2002, où Tiersen chantait sur le changement climatique avec Jane Birkin, ou sur son puissant titre « Palestine » (2011), mais aussi ses nombreuses tournées (à vélo, en van…), questionnant toujours l’approche du musicien à son public et aux territoires.
La première partie de son nouvel album, « Rathlin from a distance », nommée d’après une île d’Irlande du Nord où l’artiste fit étape s’aborde comme une contemplation, voire une méditation, où le piano seul nous immerge dans les paysages traversés par le compositeur. Là encore, Tiersen émeut par l’universalité de ses morceaux, poussant à l’introspection comme au partage, à l’authenticité et l’humilité nourries par l’immensité de l’océan.
La seconde partie, « Liquid Hour », co-réalisée avec Quinquis, se veut plus virulente, tel un appel à la révolte. Intense et planante à la fois, d’un éclectisme bouillonnant, l'« heure liquide » est plus électronique, mais demeure organique. Une texture singulière obtenue notamment par les cuivres synthétiques produits par l’Ondioline (un instrument électronique des années 1930).
Cette seconde partie reflète la rage de Tiersen face au système, mais surtout l’espoir, à l’image du bouleversant « Stourm » (« combat ») où la voix aérienne de Quinquis accompagne la progression d’un morceau à l’énergie poignante. Un appel musical au soulèvement collectif face à l’urgence climatique, contre « le capitalisme, le colonialisme et l’écocide », dont Yann Tiersen précise : « Ce n’est pas une musique de colère. C’est une musique pour changer les choses. »