"When you think the night as seen your mind / That inside you're twisted and unkind"

Le premier album du Velvet Underground, écrasant modèle auquel les critiques n’auront de cesse de comparer tout le reste de sa discographie, a acté la naissance de l’univers sociopathe de Lou Reed. Avec pour toile de fond le New York qu’on ne voit jamais sur les cartes postales, il y chante les paumés, ceux qu’on réprime pour ne pas avoir les bonnes mœurs ou la bonne sexualité. Abandonnés du monde, ils se réunissent en petit comité dans des appartements délabrés, s’organisent péniblement pour survivre aux morsures de la réalité, avant de se disputer les derniers grammes de poudre brune qui trainent sur la table du salon. Leur quotidien n’est rythmé que par les ages du dealeur, qui prend soin de toujours arriver à la bourre, afin de rappeler à ses malheureux clients la sensation de manque qui les tiraillerait s’il venait à disparaître. Sorti en 1967, The Velvet Underground & Nico se présente comme une réponse sardonique au phénomène hippie qui contamine la côte ouest, de l’autre côté des Etats Unis. Ici, on ne se shoote pas aux hallucinogènes pour faire tomber les barrières créatives. Les drogues permettent de tenir, et elles offrent leur plein potentiel quand elles sont directement injectées dans les veines. L’œuvre du Velvet ne doit pas grand-chose à la littérature beatnik, elle laisse les odes au voyage et à la liberté aux barbus de San Francisco. New York est une prison, et jamais les personnages brossés par Lou Reed ne songent à en sortir. Il conte leur détresse avec une acuité journalistique, sans trahir la moindre comion. Les mots doux, car il en écrit aussi, il les laisse à Nico, la belle allemande qu’Andy Warhol lui a imposé sous prétexte d’avoir mis quelques dollars dans l’entreprise. Et c’est mieux ainsi, car sur I’ll Be Your Mirror, la voix de Reed aurait tenu de l’erreur de casting. Comment concevoir que cette chanson d’amour d’une tendresse inouïe provienne de la même plume que celle qui a signé la brutale Waiting For The Man, la perverse Venus In Fur ou l’escalade morbide de Heroin ? C’était une pure anomalie qui ne sera pas réitérée sur le disque suivant. Histoire de ne pas se laisser surprendre à nouveau dans un moment d’égarement, Lou Reed congédia Nico et Warhol, se laissant quartier libre pour la phase deux de son apocalypse en musique.


Extrait du podcast "Lou Reed, le pire d'entre eux", disponible ici :

https://graine-de-violence.lepodcast.fr/lou-reed-le-pire-dentre-eux-integral

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le 28 avr. 2025

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