Déjà, arrêtons nous un instant là dessus :
"Things We Lost In The Fire / Ce qu’on a perdu dans l’incendie"*
Ce titre, je ne peux pas mieux vous le dire, il me tord le bide. Et pas seulement parce que le disque est paru en 2001, l’année même où le World Trade Center a été détruit par deux avions kamikazes. Le feu dont il est question ici est vraisemblablement métaphorique. On l’appelle nostalgie lorsqu’il crépite et réconforte dans les chansons des Kinks. Mais chez Low, il dévore tout, trop vite, jusqu’à répandre ses braises sur l’instant présent que l’adage nous invite à vivre comme le dernier. D’une simplicité désarmante, Sunflower annonce la couleur avec son thème endeuillé. En à peine trois vers morbides, Low signe une déchirante oraison dont la mélancolie s’étend sur le reste du disque. Paradoxalement, Things We Lost In The Fire est une œuvre plus abordable que les précédentes, car moins intransigeante dans sa forme. Mimi n’a pas encore sorti la double pédale, mais on a tout de même gagné quelques points de métronome. Pourtant ce qui hante la musique de Low depuis ses prémisses apparaît plus nettement que jamais. Alan et Mimi chantent pour conjurer l’inéluctable, et c’est cette troisième voix, née des leurs, qui est la véritable signature du groupe, davantage que sa lenteur. Une symbiose telle, ça demande bien sûr du travail, mais Alan et Mimi ont pour eux l’avantage d’années de confiance, de respect et d’affection profonde. Voilà ce qui lutte dans la tristesse parfois insondable des chansons de Low, une complicité amoureuse qui subsiste malgré l’adversité, un élément impossiblement stable dans un monde sans cesse bouleversé.
Dans Things We Lost In The Fire, Alan compose pour la première fois une ballade pour son épouse. Mimi s’en amuse en interview : ça lui aura tout de même pris huit ans, raille-t-elle avec une tendresse évidente. Presque une décennie qu’Alan n’a pas vu er. Closer, le morceau en question, témoigne de sa perplexité :
“How’d we get here so fast ?”
“Comment en sommes-nous arrivés là si vite ?”
se demande-t-il, tiraillé par des sentiments contraires. Hier encore, ils étaient ces gamins qui se fréquentaient timidement entre deux cours. Alan s’en rappelle ; alors qu’il lui jouait Heart Of Gold de Neil Young à la guitare, Mimi s’est mise à harmoniser exactement comme il l’espérait, et c’est à ce moment qu’il a su que c’était plus qu’une amourette. Depuis, ils ont quitté le collège, monté un groupe, sorti cinq albums, se sont mariés et ont donné naissance à une fille. Autant de souvenirs que le temps transforme en combustibles. Dans le final déchirant de Things We Lost In The Fire, c’est au tour de Mimi d’être saisie par le vertige. Alors qu’elle observe sa progéniture grandir à vue d'œil, elle se dit que ce corps minuscule devrait demeurer tel quel, et qu’ainsi ce moment d’émerveillement ne s’arrête jamais. Puis, franchissant le pas vers l’aboutissement terrible de sa pensée, elle s’imagine plonger ce petit être adoré dans du métal en fusion et en faire une statue pour l’éternité.
"Partly hate to see you grow
And just like your baby shoes
Wish I could keep your little body
In metal..."
"Une partie de moi déteste te voir grandir
Et comme tes chaussures de bébé
J'aimerais pouvoir garder ton petit corps
Dans du métal"
(In Metal)
Deuxième et dernier album de Low à être produit par le regretté Steve Albini, Things We Lost In The Fire amorce des adieux au slowcore, tout en lui offrant une mythologie (...)
Ce texte est un extrait de mon podcast "Low, une lumière sous les décombres". Pour découvrir le reste, ça se e ici : https://graine-de-violence.lepodcast.fr/low-une-lumiere-sous-les-decombres