Here's to you, Carlota and Max

Nul doute qu’ils auraient été nombreux à le prendre en sympathie, ce malheureux couple princier. Gabriel Garcia Marquez, sans doute, dont les affres générationnelles de la famille Buendía ont inspiré le titre de ce quatrième et dernier album de Charlotte, Impératrice ; Joan Baez, peut-être, dont l’hommage à Sacco et Vanzetti a inspiré celui de cette critique, ainsi que l’une des répliques de l’héroïne éponyme ; Joseph Roth, dont La Marche de Radetzky emploie certaines des mêmes thématiques ; mais aussi, sûrement, Luchino Visconti, lui si fasciné par les perdants, les vaincus et les fins de race. Il y a une bonne dose de Guépard dans ce Soixante ans de solitude, sur le fond comme sur la forme, crépuscule et crinolines – Claudia Cardinale aurait fait merveille dans le rôle-titre, de même qu’Alain Delon en ténébreux colonel Van der Smissen, Tancrède brabançon. Enfin n’oublions pas Thackeray, car en fin de compte, têtes couronnées et roturiers, impérialistes et républicains, martyr(e)s et bourreaux, fous et sains d’esprits, « ils sont tous égaux, à présent ».


Sans oublier, bien sûr, Fabien Nury et Matthieu Bonhomme, ainsi que nous autres lecteurs. Que des gens déjà morts ou pas encore nés ; ce n’est pas inapproprié, car si les trois précédents tomes de Charlotte, Impératrice nous ont appris quelque chose, c’est bien tout le mal qu’à leur héroïne à s’accommoder du réel. Ce quatrième et dernier opus enfonce le clou : il faut dire que Sa Majesté l’Impératrice du Mexique n’a de cesse de placer des attentes sans doute démesurées en ses contemporains, quand elle ne les accuse pas tout simplement de tous les maux de la Terre. Ainsi de Napoléon III et Eugénie de Montijo, que la belle voue aux gémonies après une entrevue désastreuse, ce qui donne lieu à une planche dantesque de Bonhomme, qui n’a pas fini de hanter mes cauchemars. Même son frère Philippe, dont descend son homonyme l’actuel Roi des Belges, se voit reprocher sa brutale franchise, autrefois si salutaire. Charlotte se détourne de sa suite, de ses amants d’hier et d’aujourd’hui, pour marcher dans les pas des Adieux à la Reine de Benoit Jacquot en forgeant une « amitié » perverse avec sa femme de chambre. Mais c’est un autre Habsbourg, au destin tout aussi tragique, qui finit par emporter son adhésion. Et l’ironie de la chose n’en est que plus cruelle.


J’avais déploré un tome 3 trop porté sur les coucheries des uns et des autres, sans véritable sous-texte, ni colonne vertébrale autre qu’un parallèle poussif avec une vraie-fausse légende aztèque, ainsi qu’un dessin un chouia en deçà des standards habituels, mais le tir a été corrigé pour la dernière salve, et avec la manière. Plus claustrophobe et crépusculaire que les précédents, ce tome 4 fait la part belle aux intrigues de cour, aux chantages et manipulations, toujours dans le dos de l’Impératrice éponyme. Pourtant jusque-là habile en la matière, celle-ci n’en est plus que la victime, déshumanisée, de plus en plus représentée comme une simple silhouette, inquiétante, au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin de l’album, à un rythme inverse de l’interminable agonie du personnage.


Cette sinistre ivité, qui donne lieu à quelques-unes des plus cases de Bonhomme décidément très à l’aise avec les spectres et les goules, s’avère un coup de maitre de la part de Fabien Nury : loin de couper les ailes de son héroïne réduite au silence, il consacre son martyr, é dans un monde bien à elle, le seul qui lui ait véritablement appartenu. Au moins « die verrückte alte Frau », témoin aussi aveugle du age des siècles que ces soldats japonais abandonnés dans la jungle, aura-t-elle laissé derrière elle un beau cadavre derrière elle, contrairement à son défunt mari, dont j’avais vu l’incroyable photo dans un Folio Gallimard consacré aux révolutions mexicaines, sans en connaitre les circonstances. C’est pourtant Maximilien qui aura eu droit à un célébrissime tableau de Manet, avec le détail de sa main ensanglantée comme celle du Christ clouté sur la croix. Toutes proportions gardées, les voici donc unis, Carlota et Max, at long last. Un bien bel hommage de la part de l'une des meilleures bandes dessinées historiques de ces dernières années.



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le 30 avr. 2025

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Szalinowski

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