Hervé Bourhis fait le plein de supers

En , on a pas de super-héros mais on a des bonnes bédés, pourraient dire certains vieux grincheux pour qui le genre se serait arrêté aux frontières françaises et belges, comme le nuage de Tchernobyl.


C’est évidemment faux, les productions super-héroïques n’ont pas seulement été diffusées chez nous depuis des décennies, mais la a aussi produit ses propres figures, avec sérieux ou dérision, dans la bande-dessinée mais aussi la littérature ou les écrans : Fantax, Fantomette, Super Dupont, Mikros, Super héros : une histoire française.


Hervé Bourhis s’en empare dans Comix Remix, trois tomes hauts en couleurs parus entre 2005 et 2007, réunis en 2012 pour une intégrale. L’auteur, né en 1974, a digéré ses lectures des productions de super-héros, probablement de Lug, qu’on devine avec ce petit clin d’oeil à Strange dans le tome 1. Ce sera d’ailleurs l’une des rares allusions à ce qui peut déjà exister, un hommage furtif pour préciser sa dette, sa série n’étant aucunement noyée par la référence et la révérence, préférant construire son petit monde.


Dans cet univers proche du nôtre, vaguement futuriste, tout commence par un drame, la mort de Mister Mercure, l’un des super-héros les plus populaires de la Corporation, basée à Towerville. Sa disparition mystérieuse met le feu aux poudres de la rivalité entre cette agence et les Clandestins, des super-héros dissidents et rebelles qui veulent mettre à bas la Corporation. En effet, après des années et des années à protéger la population, les super-héros officiels ont pris de plus en plus d’influence, au point de confisquer une partie du pouvoir et d’avoir dévié du droit chemin. L’argent est devenu l’un des principaux moteurs de leur conduite, par de multiples contrats juteux de sponsoring qu’il ne faut pas décevoir. Miss Honolulu, la présidente de la compagnie cherche ainsi à assurer sa position en briguant le poste de maire.


D’une élégante simplicité présenté ainsi, le récit d’Hervé Bourhis est pourtant riche en de nombreux personnages et intrigues secondaires, à l’encéphalogramme toujours renouvelé. L’histoire de Comix Remix n’est pas si naïve que les productions d’antan, où le héros devait triompher, malgré les adversités. La Corporation est évidemment du mauvais côté, mais sans manichéisme démoniaque de conquête du monde, ce n’est rien d’autre de plus qu’un pouvoir en place qui veille à préserver et à étendre sa position. Les rebelles sont mus par des idéaux, mais aussi d’une envie de révolte qui ne sort pas des clous d’une gueguerre entre supers. Tout ce petit monde ne survivra pas forcément aux trois tomes, dans un jeu de victoires et de défaites pour l’un ou l’autre clan, avant que la fin, glaçante, ne sonne celle de la récréation.


Hervé Bourhis ne cherche d’ailleurs pas tellement à créer « ses » super-héros, en dehors de quelques figures, comme le sombre et mystérieux Mister Spice, un Batman qui aurait franchi la ligne morale. La majorité des super-héros de la Corporation utilise un uniforme et un code-couleur identique. Les quelques différences visuelles seront plus du côté des Clandestins et de l’équipage réuni, à la « normalité contrariée », comme l’atteste un des éléments de langages d’une certaine frange conservatrice de la population et du pouvoir en place.


Comix Remix utilise donc la figure du super-héros pour une critique sociétale et politique, aux nombreuses ramifications. Il le fait grâce à un récit relevé et captivant, grâce à ses nombreux personnages et idées. Le ton est volontairement désabusé sur cette figure de l’héroïsme, rappelant que le pouvoir, qu’il soit super-héroïque ou politique, entraîne une confiscation des libertés de ceux qui ne peuvent se hisser en haut de l’échelle.


Avec son trait très européen, aux lignes folles, aux compositions parfois entassées, et ses couleurs froides (d’Albertine Ralenti) utilisées comme pour Lucky Kucke de Morris : mettre l’accent sur les personnages, Comix Remix est évidemment une appropriation très française du genre. Mais son contenu, très politique, le rapproche aussi de cette sensibilité européenne, démontrant que les collants et les capes ou autres ne doivent pas être la chasse gardée des Américains. Ce « remix » n’est pas seulement surprenant et palpitant, il est excellent.

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le 6 mai 2025

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SimplySmackkk

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