Oublions Tintin, le vrai trésor de la bande dessinée franco-belge ne peut donc être qu’Astérix et compagnie. Netflix l’a bien compris en produisant le retour d’Alain Chabat sur la licence (et c’est bien).
Le Gaulois petit en taille mais fort en caractère ayant été crée par les géniaux René Goscinny et Albert Uderzo en 1959, cela fait donc plus de 60 ans qu’il fait partie de la vie de tous et rares à ceux n’ayant jamais ouvert un album de leur vie (des gens tristes, probablement). Bien évidemment, en autant de décennies, la série a pu zigzaguer, égratigner sa renommée avec quelques adaptations ou suites moins recommandables, mais qu’importe, le meilleur des Astérix fait oublier bien facilement le moins bon.
En autant d’années, les aventures du Gaulois et de son entourage ont pu frapper non seulement des Romains indélicats mais aussi l’imaginaire de tous ceux qui l’ont lu, du public à celui qui est é du côté de la création, du scénariste au dessinateur de bande dessinée. Ce sont ces différentes générations qui sont convoquées pour cet album hommage, où plus d’une centaine des meilleurs artistes actuels de la bande dessinée ont été conviés à présenter leurs hommages à Astérix.
Divisées en plusieurs parties thématiques, ces dédicaces prennent généralement la même forme : la présentation de l’auteur, une sélection de son œuvre, parfois un petit commentaire sur « son » Astérix et une illustration ou une bande-dessinée sur 1 ou 2 pages.
Ce genre de livres sert donc aussi à faire la promo des artistes impliqués, et c’est bien normal. Rappeler leur parcours et leur œuvre en quelques lignes permet aussi de faire découvrir leur importance dans le milieu, il ne s’agit pas de débutants qui voudraient profiter d’Astérix pour se faire connaître, leur notoriété est déjà établie. Étant donné la longue liste d’artistes que je vais citer plus bas, je n’ai d’ailleurs pas pris le temps de préciser ce qu’ils ont crée. Elle peut permettre de les faire découvrir à certaines personnes, c’est aussi une des qualités de l’ouvrage, même si une page ou deux n’est pas suffisant pour bien appréhender toute l’originalité de chacun. Il ne reste alors plus qu’à les découvrir un peu mieux, en allant en librairies ou dans les bonnes bibliothèques.
Notons d’ailleurs que les présentations en question sont d’autant plus agréables à lire qu’elles sont faites avec un certain humour et une gentille complicité amicale. Les petits textes des artistes pour « leur » Astérix sont le plus souvent touchants, rappelant l’attachement que peut provoquer l’oeuvre de Goscinny et d’Uderzo sur chacun. Certains auteurs ont fait le choix de ne pas en proposer, peut-être n’ont-ils pas su «quoi » écrire pour rendre hommage, et c’est bien dommage. Ces quelques lignes personnelles offrent même des facettes intéressantes sur la personnalité de chacun.
Parmi toutes les pistes possibles pour cette page unique ou ces deux planches, c’est généralement le thème de la camaraderie qui a été retenu comme sujet de ces planches, plutôt que celui de la résistance, avec celui plus personnel des auteurs avec une certaine mélancolie face au temps qui e (60 ans, ça fait son effet sur certains).
Visuellement, Générations Astérix nous offre de très bonnes planches. Certains veulent faire du Uderzo, mais recopier le maître n’est pas si facile. Fabrice Tarrin le fait si bien qu’on ne peut s’empêcher d’y voir comme une tentative complice de demander à reprendre la série, et d’ailleurs il a illustré quelques nouvelles couvertures et l’album spécial « Astérix - Le secret de la potion magique ». Les repreneurs de la série, Ferri et Didier Conrad depuis 2013 ferment d’ailleurs l’album.
Pour les autres, il s’agit plutôt de faire « son » Astérix, en reprenant leur style visuel, leur personnalité, ce qui permet de bien belles réinterprétations. Ce patchwork esthétique papillonne entre de belles réussites, d’audacieuses idées ou des mises en scènes plus simples mais pas moins réussies. Arthur de Pins et son kaléidoscopique pop, Mikaël et son duo de Gaulois plus réalistes, Nob et son sous-texte très actuel, Bastien Vivès et sa provocation légère, Mawil et sa version contemporaine, Guy Delisle et son trait fin mais au message philosophique lourd, le chaos énergique de l’illustration de Kim Jung Gi, etc. sont autant d’instantanés personnels et visuels qui autorisent quelques envies de découvrir des Astérix plus personnels, entre les mains d’artistes à l’image de ce que connaissent les séries de Spirou ou de Lucky Lucke depuis quelques années.
Parmi les quelques idées plus différentes, certains auteurs se permettent des crossovers avec leur œuvre, à l’image de Lupano et Cauuet qui reprennent leurs Vieux fourneaux à la sauce astérixienne ou ses Nombrils, pour d’amusants mélanges. Dany veut faire revivre son Olivier Rameau, mais c’est moins réussi. D’autres auteurs se mettront en scène, à l’image de Tronchet, Philippe Dupuy ou Julie Maroh, tandis que d’autres, plus rares, n’utiliseront même pas les personnages les plus connus, comme Ralph Meyer et son très réussi Romain à l’encre qui a pris une belle dérouillée et ronchonne qu’on célèbre ces Gaulois qui distribuent des baffes depuis 60 ans. Mais Astérix ou Obélix ne sont jamais bien loin.
Les artistes invités sont principalement français, mais si Astérix est majoritairement un trésor gaulois, ses œuvres s’exportent malgré tout dans le monde, la bande-dessinée serait la plus vendue au monde derrière One Piece. On y trouve donc des auteurs plus internationaux, bien que généralement francophiles, comme les suisses Derib ou Cosey, les espagnols Alain Ayroles et Juanjo Guarnido, le sud-coréen Kim Jung Gi, l’Allemand sascha Wüstefeld (dont vous retrouverez « Son Astérix » dans cette liste, tellement son anecdote est amusante) ou les Américains Terry Moore et Ian Chruchill, et quelques autres encore.
Proposant à la fois des interprétations assez fidèles de la série Astérix, mais aussi quelques idées périphériques plus audacieuses, cet album est donc une relecture personnelle et imaginative de toutes les possibilités des Gaulois, qui ne semblent pas donc toutes utilisées ou exploitées. C’est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir certains auteurs, et même si tout le monde ne semble pas investi de la même façon (surtout chez certains grands noms, hélas) le niveau général est terriblement accrocheur.
Créant cette terrible envie, presque sacrilège, de confier à plus d’auteurs les clés des possibles avec Astérix. En plus de celle, bien légitime, de relire les meilleures aventures du Gaulois.