Dans Aldobrando, Gianni Alfonso (alias Gipi) et Luigi Critone nous livrent une fable médiévale où l’aventure se faufile entre les ruelles crasseuses, les intrigues politiques mal ficelées, et l’odeur persistante de l’échec cuisant. Le héros ? Ou plutôt l’anti-héros. Aldobrando est un jeune homme aussi naïf qu’un bébé chou en pleine foire aux dragons. Il quitte son cocon pour une mission, et comme vous vous en doutez, rien ne se e comme prévu.
Visuellement, Luigi Critone tire un coup de maître. Les décors sont somptueux, les expressions des personnages finement travaillées, et on a l’impression que les planches ont été taillées à même le bois d’un vieux chêne médiéval. Tout suinte l’authenticité, même la boue qui semble vouloir déborder des pages. Mention spéciale aux nuances de couleurs qui apportent à l’histoire une ambiance entre clair-obscur et rêves brumeux.
Côté scénario, Gipi prend le pari risqué de l’anti-héroïsme poussé à fond. Aldobrando n’a rien d’un conquérant musclé ou d’un génie stratégique. Il avance, un peu perdu, un peu maladroit, avec une chance qui oscille entre miraculeuse et totalement absurde. Les dialogues sont finement écrits, oscillant entre le comique et le tragique, avec une pointe de mélancolie qui vous surprend en plein détour.
Mais voilà, l’anti-héros a aussi ses limites. Si l’approche fonctionne sur le plan humain (on s’attache à ce garçon maladroit malgré lui), l’histoire manque parfois de souffle épique. On aurait aimé un peu plus de grandiloquence, un peu plus de panache. À trop vouloir jouer la carte du réalisme terre-à-terre, l’intrigue oublie parfois d’emporter le lecteur dans de véritables sommets narratifs.
Les thématiques abordées (l’apprentissage, la fatalité, la quête d’identité) sont bien là, mais elles se perdent parfois dans les méandres d’une intrigue qui prend son temps pour poser ses jalons. Un rythme contemplatif qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui donne à l’œuvre une profondeur insoupçonnée, comme une rivière qui cache son courant.
En somme, Aldobrando est une aventure atypique, où le héros n’est pas vraiment un héros et où les clichés médiévaux sont subtilement renversés. Une œuvre visuellement sublime, portée par une narration qui jongle avec ses forces et ses hésitations. Une fable à lire si vous aimez les histoires qui n’en font pas trop, mais qui savent glisser un petit poignard de vérité dans vos attentes.