Roncevaux : le nom mêle la légende à l'histoire et gare à celui qui se prend les pieds dans cet entrelacs où les mensonges se nourrissent des rêves.
L'auteur basque Juan Luis Landa devait donc faire danser sa plume sur des oeufs à la coque en merveilleux chocolat, fourré à la nitroglycérine. Et il s'en sort plutôt bien.
Graphiquement, l'album est une réussite. Précis, le dessin réaliste est très bien mis en couleur et les plans sont également travaillés de manière très professionnelle. Voilà une bonne aubaine pour l'éditeur de l'édition française Glénat qui, depuis longtemps, a fait sa spécialité des chroniques historiques.
Le scénario était une autre affaire, car la bataille de Roncevaux est semi-légendaire et son souvenir ne tient à l'origine qu'à l'évocation de la tentative d'appropriation de Saragosse par Charlemagne. Cette mésaventure fut rapportée succinctement par le moine propagandiste Eghinard, auteur au début du IXème siècle d'un récit éhontément élogieux en faveur des Carolingiens, et en particulier de son maître défunt, Charlemagne. La chanson de Roland, poème épique écrit trois siècles après les événements, brode élégamment sur la personnalité d'un chef de guerre historiquement très flou, Roland, proche de Charlemagne, et sur son rôle tragique dans cette expédition désastreuse.
Le très bon film (basque aussi) Irati avait réussi son pari en mêlant l'histoire à la mythologie païenne basque. Dans la brume d'une histoire bien plus évoquée que connue, Irati faisait vivre une société médiévale reconstituée, où des divinités immémoriales jetaient leurs derniers feux dans une ultime association avec un peuple vascon qui les reniait pour se soumettre à la religion chrétienne.
Dans ses Chroniques de Roncevaux, Landa réinvente l'histoire tout en se basant sur les éléments les plus sérieux que les historiens ont pu établir. Ses hypothèses personnelles tiennent assez bien la route, quelques détails mis à part, fournissant une réinterprétation crédible des événements dans leur contexte. La description de la bataille de Roncevaux elle-même en est à mon sens le point le plus historiquement contestable.
Etrangement cependant, l'auteur choisit de glorifier le personnage de Roland en le faisant er, comme sa légende médiévale fondatrice du XIème siècle, pour un noble, beau et intrépide paladin, pétri de foi chrétienne et de manières courtoises. Ce parti pris est d'autant plus étrange que, hormis l'ignorance crasse qui entoure la figure historique de Roland, il est communément is par les historiens que ces fondateurs de l'aristocratie française n'avaient pas plus de noblesse que les sanguinaires chefs de guerre d'aujourd'hui, en Afrique et ailleurs. Il y a d'ailleurs plus à croire que Charlemagne a puni son "neveu" Roland en lui assignant la tâche de protéger le butin ravi traîtreusement sur les chrétiens basques par l'armée carolingienne en retraite par un caprice de guerrier brutal et financièrement frustré par la défaite.
Dans le deuxième album, la mort tragique du "Paladin" est d'ailleurs due à une résurgence mythologique : les hordes paléolithiques des Jentils offrent une dimension christique à la mort de Roland, parachevant sa sainte icône. Mouais, curieux choix que celui de Landa, qui oublie un peu que la survie de son peuple basque a sans doute été favorisée par la défaite des Francs, impitoyables conquérants des nations voisines.