Dans mes yeux
7.1
Dans mes yeux

BD de Bastien Vivès (2009)

Eyes Wide Shut

Comme dans Le Goût du Chlore, Bastien Vivès raconte une histoire d'une grande banalité. Un type rencontre une fille dans une bibliothèque, ils vont au resto, au ciné, au zoo, dansent lors d'une soirée, font l'amour, se séparent.
Cette histoire serait effectivement ordinaire si elle n'était pas racontée uniquement à travers les yeux du garçon. Jamais on ne verra son visage et, plus audacieux encore, jamais on n'entendra sa voix. Tous les dialogues sont construits sous formes d'ellipses : on lit les répliques de la fille, mais pas celles du garçon, comme si une gomme était venue effacer ses paroles à lui. On est donc totalement immergé dans l'histoire et on se surprend à remplir les blancs, à imaginer les dialogues manquants. Vivès touche peut-être ici à l'art dans ce qu'il a de plus noble : à la fois ludique et expérimental, populaire et exigeant. Mais le côté amusant du "livre dont vous êtes le héros" finirait par tourner à vide si Vivès ne profitait pas aussi de son parti pris pour raconter ces moments banals comme ils n'avaient jamais été racontés.
Exemple : on se balade dans un couloir avec la fille, elle rencontre deux garçons qu'elle connaît, commence à discuter. Petit à petit, le dessin devient flou, les personnages disparaissent case après case dans un amas de couleurs informe, les dialogues dans les bulles ne sont bientôt plus que des gribouillis indéchiffrables. Notre alter-égo est-il agacé ? ennuyé ? peut-être simplement ailleurs ? Peu importe (on a la liberté de penser ce que l'on veut). Ça dure 4 pages, jusqu'à ce que deux silhouettes s'en aillent. L'image redevient nette, la fille revient au premier plan, s'excuse et sourit. "Mais t'as pas à t'exc, hein, c'est pas grave". Autre exemple, sublime : l'inévitable scène du premier baiser (au cinéma, of course), que Vivès dessine sans le dessiner, puisqu'on est en vue subjective, et que, en vue subjective, on embrasse les yeux grands fermés.
Il y a une humilité touchante chez Vivès dans sa manière de raconter des histoires profondément simples, de bouts de vie d'une authenticité bouleversante (impossible pour le lecteur de ne pas avoir l'impression de se faire raconter des scènes de son propre é) qui donnent l'impression d'avoir été écrites en une nuit et qu'on lit en 15 minutes. Éviter la psychologie et les lourdeurs explicatives pour se focaliser sur des petits détails, sur des gestes, sur la manière dont la jolie rousse ôte et remet son écharpe : voilà la grandeur des BDs de Bastien Vivès. Il faudrait aussi ajouter que le dessin au crayon de couleur est absolument magnifique. Voilà, c'est fait.
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 30 BD

Créée

le 27 juin 2013

Critique lue 295 fois

1 j'aime

1 commentaire

MacGuffin

Écrit par

Critique lue 295 fois

1
1

D'autres avis sur Dans mes yeux

Caricature d'une relation amoureuse

J'ai l'impression qu'avec Bastien Vivès, c'est tout l'un ou tout l'autre, soit la finesse, soit le gros cliché bien lourd. Ici, c'est la seconde option qui l'emporte largement à mes yeux. Que le...

le 10 juin 2016

13 j'aime

A lire rien que pour le dessin!

Bon, l'histoire ne sort pas vraiment de l'ordinaire: une histoire d'amour de ses débuts à la rupture. Mais ce qui est vraiment magique c'est le dessin car le lecteur est le second personnage de cette...

le 5 avr. 2011

7 j'aime

Maitre des couleurs

Bastien Vivès a un peu trop de talent, et il nous en fait profiter tout au long de ces récits multiples. Pour ce "Dans mes yeux" il choisit de mettre en scène une vue à la première personne, ainsi...

Par

le 13 juil. 2010

7 j'aime

Du même critique

"One hell of a commercial"

À l'heure où d'aucuns conspuent Hollywood pour son manque d'originalité et son mercantilisme (remakes à foison, adaptations de romans pour ados, interminables sagas de super héros), je suis surpris...

Par

le 9 juil. 2014

32 j'aime

10

C'est qui le patron ?!

Ce qu'il y a de bien avec les films à sketches, c'est qu'on peut faire des jeux. Les cinéastes mettent en place des règles pour le film (ici : chacun réalise un segment de 20-25 minutes, enfermé dans...

Par

le 4 mai 2013

30 j'aime

Vivement le remake ?

Bron a été propulsée néo-meilleure série du monde (ou presque) en 2012. Et déjà un remake américain est prévu. Alors on pourrait se dire, hypothèse a), que l'âge d'or de la télé américaine est bel...

Par

le 19 mai 2013

14 j'aime

3