Le propos est habile et le dessin est clair : durant 130 pages, Matthieu Angotti décrit son quotidien à l'Elysée en tant que conseiller spécial de Jean-Marc Ayrault durant les deux ans de ce dernier à la tête de Matignon, entre 2012 et 2014. Le propos et les réflexions y sont intéressantes surtout pour un point : cela permet de comprendre ce qu'on ressent quand on est de gauche et qu'on subit les renoncements idéologiques d'un François Hollande peu courageux face à la droite. D'autant plus quand on est aux manettes. (Du moins, davantage que celui ou celle qui apprend cela à la radio, dans sa voiture, en allant travailler)
Matthieu Angotti est très critique de Manuel Valls en particulier mais également de François Hollande, qui est accusé, pas directement mais on le comprends au fil des pages, de manquer d'honnêteté et de courage politique. On voit toute son iration pour Christiane Taubira et on comprends comment le Parti Socialiste a implosé en vol avec toutes ses dissensions. Car, Angotti est dans le social, dans l'associatif. Autant dire que les horreurs proférées par Manuel Valls, alors Ministre de l'Intérieur, ça ne e pas. On est alors amené à suivre le cheminement intellectuel et la difficulté ministérielle de peser dans le débat idéologique dans un gouvernement divisé et mis sous pression par une droite gangrenée par l'idéologie réactionnaire.
Son dada, à Matthieu, c'est l'intégration. Pas dans la veine de Valls, du genre "Les musulmans DOIVENT s'intégrer sinon ils ne sont pas républicains" mais plutôt "Il faut qu'on trouve les moyens d'aider la population immigrée actuelle ou descendante d'immigré à se sentir intégrée en ". Deux discours sur l'intégration. Deux mondes. Deux politiques radicalement opposées. Valls, Angotti va devoir faire avec. C'est en grande partie ce denier (et le Figaro, dans une moindre mesure) qui fiche en l'air son grand plan d'intégration mis en place en concertation avec associations, bénévoles, humanitaires, ... Loin de la réunion de technocrates hors-sol. Et, chose surprenante, Jean-Marc Ayrault soutient. On reconnait les élans optimistes de la gauche socialiste du débat de quinquennat : on a gagné, tout est possible. Le désenchantement n'est pas loin.
Car, malgré des débuts prometteurs : les commissions s'enchaînent, tout se met en place petit à petit, le plan est plus ou moins avalisé par le Premier Ministre, les tuiles tombent : Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, met son veto absolu sur le droit de vote des étrangers et sur le récépissé de contrôle d'identité. C'est déjà un pan d'un ambitieux plan de lutte contre les discriminations qui tombe à l'eau. C'est là que l'on se rend compte du cancer qu'est Manuel Valls pour la gauche, bien plus qu'un François Hollande hésitant, souple idéologiquement qui accepte tout pourvu qu'on râle un peu. Valls, lui, sait ce qu'il veut. Son ennemi, ce n'est pas la finance, c'est l'islam. Qu'il voit partout, de manière névralgique, ionnée presque. Mais c'est une ion triste, haineuse, qui fera un mal fou au quinquennat.
Deuxième tuile qui achève de tuer le projet : le Figaro monte en épingle une phrase du rapport sur lequel s'appuie le gouvernement pour monter son plan : La suppression de la loi 2004 sur le voile à l'école serait souhaitable. Bigre, voilà que le journal retrouve son cheval de bataille habituel depuis trente ans : il va pouvoir encore brader sur l'islam pour faire peur, vendre du papier et gagner des lecteurs. (Et augmenter les scores électoraux du Front National mais bon, ons) La polémique est lancée, autre renoncement de François Hollande : la circulaire interdisant aux femmes voilées de participer aux sorties scolaires sera maintenue. Ça commence à faire beaucoup pour Angotti qui garde espoir malgré tout. Manuel Valls, de son côté; jubile, le Figaro partageant sa vision des choses au sujet de l'Islam, pensez s'il était content que cela soit enterré. Si on le laissait faire, il interdirait l'islam en . Et après, il s'étonnerais qu'il existe des musulmans mécontents en . Ah bon ?
Au final, cette bande dessinée est ionnante à lire puisqu'on suit petit à petit les errances idéologiques d'un François Hollande en perdition complète, qui se débarrasse de sa boussole qu'était Jean-Marc Ayrault (qu'on peut encore vaguement qualifier "de gauche") pour la remplacer par une boussole autrement plus nocive : Manuel Valls. Et là, autant dire que l'intégration, Matignon n'en a plus rien à carrer. Mais la gauche de la gauche, elle, s'en va, désespérée. On voit bien qu'Angotti, au début de son action, parle justement du peu de représentation ethnico-culturelle dans les cabinets, du CV anonyme, des discriminations à l’embauche ou au logement des gens qui ne sont pas blancs et/ou ne s'appellent pas Paul ou Matthieu. Cette politique-là, progressiste, sociale, de gauche, est totalement balayée par un seul homme : Valls. Le véritable fossoyeur de la gauche n'est ni Hollande, ni Macron, c'est Valls. La sangsue de la gauche, son vampire, son cancer, c'est lui. Et, en filigrane, l'oeuvre le montre bien. Mais un cancer, parfois, ça se soigne. Et le docteur pourrait être Benoit Hamon. Qui sait, en 2022...