Dans Malformations et Déviances, dixième tome de The Goon, Eric Powell délaisse les sentiers narratifs classiques pour mieux embrasser une forme éclatée, presque anarchique. Et c’est justement ce choix audacieux qui m’a séduit.
Le tome se compose d’une suite de récits courts, indépendants en apparence, mais unis par une atmosphère sombre et grotesque, typique de l’univers du Goon. Derrière le chaos apparent, Powell réussit à créer une cohérence thématique : celle des marginaux, des monstres humains, des laissés-pour-compte qui peuplent les interstices de son monde crasseux. Loin de n’être qu’un enchaînement de bizarreries, chaque histoire ajoute une pierre à l’édifice d’un univers à la fois absurde et profondément humain.
Ce que je trouve brillant, c’est la capacité de Powell à alterner les tons : l’humour noir, la tragédie intime, l’absurde grotesque – tout s’entrelace avec une aisance bluffante. Ce n’est pas un tome qui avance, c’est un tome qui respire, qui vit par à-coups, et qui n’a pas peur de perdre un lecteur au age pour rester fidèle à sa propre logique.
Si je n’ai pas mis 10/10, c’est parce que cette forme morcelée peut laisser un goût d’inachevé. Certains segments brillent plus que d’autres, et une partie du lecteur en moi aurait aimé un fil rouge plus affirmé. Mais le plaisir de lecture, la richesse des idées et la liberté de ton rendent cette petite frustration presque secondaire.
Malformations et Déviances n’essaie pas de plaire à tout prix. Il revendique sa forme fragmentaire et fait confiance à l’intelligence du lecteur. C’est un pari risqué, mais brillamment tenu. Powell prouve qu’il maîtrise autant le fond que la forme, et que derrière chaque malformation, il y a une histoire qui mérite d’être racontée.