Yoko là où on ne l'attend pas
Message pour l’éternité n’est probablement pas le meilleur des Yoko Tsuno, mais il reste peut-être le plus original de tous. Pour ce cinquième album de la série, et quatrième aventure en long format, exit aussi bien les Vinéens que les mystères du Rhin : l’intrigue se déroule entre la Bretagne, la Suisse et l’Afghanistan ... et elle a pour cœur un vieil avion Handley-Page « Héraclès » disparu dans les années 1930’s !
Ce n’est pas pour rien si dans cet album, Yoko se compare elle-même à James Bond (en page 19, les cocos). L’originalité de cet album, c’est son intrigue reprenant les codes de l’espionnage, et porteuse d’une ambiance assez lourde de conspiration, d’ailleurs bien distillée par Roger Leloup. On a rarement vu l’Intelligence Service s’infiltrer dans les pages de Yoko Tsuno, ici c’est une trouvaille rafraîchissante.
Mais surtout, Message pour l’éternité contient une audace qui est rare dans la BD : un twist central. Pas seulement un revirement de l’intrigue, mais bien un changement total de style et de ton ! Alors que la première partie flirte avec l’espionnage et les essais aéronautiques, dès lors que Yoko a atteint le cratère, Roger Leloup ouvre un second scénario radicalement différent : on y découvre un paria, une foudre rituelle, et des singes à la limite de l’humanité. Au age, voir ces proto-hommes se battre autour d’une colonne rituelle, cela m’a toujours rappelé 2001 l’Odyssée de l’espace...
L’audace dans le scénario, on la retrouve également dans le dessin : Roger Leloup multiplie les plans larges et les panoramas, là où son talent éclate au grand jour. Les scènes aériennes, ainsi que le lever de soleil, lui donnent l’occasion de quelques dessins parfaits. On apprécie aussi l’innovation dans le tracé des personnages : le visage de Yoko s’est considérablement affiné, tandis que Vic et Pol prennent des traits plus adultes. Roger Leloup n’a pas encore atteint la pleine maturité avec ses graphismes, mais une grosse étape est franchie grâce à ce cinquième album.
Cette aventure n’est pourtant pas exempte de quelques défauts, notamment une fâcheuse tendance à la sur-explication, ce qui vient saturer les cases de dialogue. Egalement, avec un format de 44 planches seulement, et non pas une soixantaine comme Tintin par exemple, Roger Leloup doit er rapidement sur les personnages de Stevens et John Smith, alors que ces deux-là auraient gagné à avoir quelques pages de plus pour révéler toute leur épaisseur.
Espionnage, aéronautique rétro et chaînon manquant entre l’humain et le singe : assurément pas des ingrédients habituels pour un Yoko Tsuno, mais la recette fonctionne vraiment bien dans ce cinquième album. A relire !