Même sans voir le bandeau « La nouvelle série humour de Canal+ » (1) sur la couverture de l’album, je me serais dit que les sketches en une page qui le composent feraient un bon scénario pour une série télévisée. (Je n’ai pas dit : un scénario pour une bonne série…) Une soixantaine de mini-scènes de couples pris dans des moments du quotidien, si on diffusait ça avant le journal de 20 heures, par exemple ?
Il me semble pourtant qu’il y a une patte personnelle dans cet humour-là, très maigre – c’est-à-dire tout sauf gras. Fabcaro mêle absurde (apporter un filtre à sable de piscine comme cadeau de premier rencard amoureux, p. 49) et pur sarcasme : « À partir de combien de minutes e-t-on de “silence complice” à “on n’a rien à foutre ensemble” ? », se demande Marina après cinq cases muettes (dans « Marina et Julien », p. 17).
Des lecteurs et des lectrices ont relevé l’hétérocentrisme (2) de l’ensemble. Mais je crois qu’on peut désamorcer la critique en notant que si on remplaçait « Valérie et Yves » (p. 18) par « Valéry et Ivan » ou par « Valériane et Yvette », par exemple, ça ne changerait strictement rien à l’affaire : ce n’est pas l’hétérosexualité qui est ici ée au crible, pas plus que la ion amoureuse, mais simplement l’inanité de ces normes sociales qui font qu’on préfère se faire chier à deux que tout seul.
Il me semble que le caractère statique des personnages, la bichromie de chaque planche et les décors – quand il y en a – réduits à quelques traits vont encore dans ce sens : ils s’agit moins de conventions sociales que de la condition humaine. Dans la plupart des couples mis en scène par Moins qu’hier (plus que demain), il y en a un des deux qui n’a rien compris – avec l’Oscar de l’aveuglement pour Fabien, qui attendra Géraldine d’un bout à l’autre de l’album (3).
Du reste, on ne saisit pas forcément tout de suite ce que ces situations comportent (paradoxalement ?) d’authentique noirceur. Les moments mis en scène par Fabcaro sont presque tous des mini-crises, et si on comprend assez vite comment ils en sont arrivés là, on voit souvent mal comment ils pourraient s’en tirer sans dégâts. Le langage ne permet aucun salut : leurs mots échappent aux personnages, comme s’ils n’en saisissaient pas toutes les implications.
(1) Ouais, au XXIe siècle, on écrit « série humour ». Les prépositions sont devenues ringardes.
(2) Tiens, voilà l’occasion d’apprendre le mot hétérocentrisme à mon correcteur d’orthographe. Ajoutons que les personnages sont presque tous blancs.
(3) Pour le coup, c’est souvent l’homme qui ne comprend rien. Qu’y aurait-il à en dire ?