Breaking Dad
Je vais commencer par dire que ce manga est une drogue. Je suis catapulté au Japon dés que je l'ouvre et quand je le ferme, j'ai vite besoin de la prochaine dose. L'histoire nous compte les...
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le 27 mai 2020
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« Appréciable ». C’est encore ce que je me suis dit en survolant un chapitre saisi au hasard, et sans même en lire une bulle.
Le coup d’œil, je l’ai. Chat GPT ? Supplanté. En moins de dix secondes ou presque, je peux vous dire avec exactitude et une marge d’erreur tolérable si un manga est à jeter aux ordures rien qu’en appréciant ce qui se présente au gré d’une dizaine de pages. Ce pouvoir, car c’en est un, s’est inscrit dans ma chair à force que la douleur de bien des lectures ées soient parvenues au bout de ma patience. L’expérience m’a comme qui dirait rongé les nerfs ; je n’en suis ressorti que renforcé.
Quoi qu’un peu désaxé aussi, il faut le reconnaître.
Aussi, rien qu’au ing, esquissant les cases d’une lecture preste et furtive, je devinais que ce qu’on trouvait contenu ici n’était mauvais. Rien d’exceptionnel pour autant, cependant, mon inconscient remua mon sens critique – comme le site, tiens ! – afin que je devinai d’instinct qu’il y avait matière à boulotter dans ces tomes.
En premier lieu, le protagoniste principal : un homme entre quarante et cinquante ans. Je crois bien que semblable occurrence ne soit pas advenue dans 5 % de mes lectures Seinen. Démographiquement, pourtant, ils sont encore, dans une trame plongée dans un Japon contemporain, des personnages plus probables que des jeunes freluquets aux joues roses. Ce qui est rare est précieux et c’est une aubaine, pour une fois parmi cent, de trouver un personnage de père de famille actif. Oui, actif. Car les darons, dans les Seinens, sont habituellement les cibles idoines de la sinistrose aboulique d’auteurs chargés de les conduire à la mort.
Un personnage crédible qui plus est. C’est un bon citoyen en costume, conformiste en diable, vivant de plaisirs simples, qui ne s’est jamais battu de sa vie, a toujours payé ses impôts à l’heure – le con – et qui mène une vie de famille somme toute trop classique. L’élément perturbateur en lui-même, s’il tient de l’exception au quotidien routinier, reste vraisemblable. Sa fille se met à la colle avec un voyou qui la cogne. Le père l’apprend et, dans un concours de circonstances où la situation se sera prêtée à une colère légitime, le tue. Manque de bol, ce petit fumier était en cheville avec les Yakuzas. Pas ceux à la mode Fable.
L’œuvre a pour dessinateur Asaki Masashi. Parfaitement, le même de chez Tsugumi Ohba lorsque celui-ci avait encore des idées.
Quelques bémols toutefois viendront tempérer la symphonie que je vous écris là. Que l’épouse de l’assassin soit si calme et si rapidement disposée à la complicité après que le meurtre soit consommé est trop difficile à croire pour qu’on y adhère. La mère Tosu, tu lui traînes un cadavre sur le palier, elle te sort un « rhooo ! » complaisant, avec un petit sourire, les yeux fermés et ses poings sur les hanches. « Galopins, t’as donc commis un homicide après vingt ans de mariage. Bon allez, aide-moi à ranger ce bazar » sera, sans trop avoir à forcer le trait, l’équivalent de sa réaction devant l’indicible. Sans vouloir accabler ses dames, les hormones font qu’en cas de situation analogues, celles-ci sont les plus disposées au tapage et réactions inconsidérées. Des exceptions, y’en a… mais une mère de famille japonaise bon teint, je la vois pas gentiment acter d’un homicide et agir sans paniquer.
Il n’empêche qu’elle sera la première à commettre une ânerie dès lors où elle enverra, par SMS, la consigne de se débarrasser du cadavre à son mari. À tous les jeunes assassins en herbe qui me liraient… pas de trace. Si vous cédez aux saines et envoûtants pulsions de l’homicide, assurez-vous que votre portable soit très éloigné de celui de la victime d’une part, et qu’aucun appel – encore moins SMS – suspect ne figure sur votre relevé téléphonique.
C’est pour ça qu’il faut toujours avoir un pré-payé à sa disposition en cas d’urgence de cet ordre.
J’apprécie en tout cas beaucoup ces œuvres didactiques qui enseignent comment se débarrasser d’un corps en cas d’homicide impromptu. Ce sont des informations assez précieuses, car personne, en démocratie de marché, n’est à l’abri d’une criminalité endémique et impunie susceptible de se profiler jusque chez vous. Chacun sachant quel est le rôle objectif de la police, à savoir vous saigner le porte-monnaie, défendre les parvenus au pouvoir et constater votre corps trop tard après que vous ayez été massacrés à force de les attendre, My Home Hero sera pour vous un guide pratique incontournable afin de pouvoir apprendre à vivre sainement en dépit des nuisances ambiantes. Rien qu’une baignoire et quelques ustensiles ne sauraient venir à bout.
Ma précédente et allusive comparaison à The Fable n’était pas si fortuite qu’on l’imagine alors que, dans le fond et même dans le dessin, on y retrouve quelques allures similaires, le rythme notamment, un peu les personnages aussi qui, à coup sûr, contribueront à vous faire aimer ce que vous lisez. Je suis persuadé que Katsuhisa Minami a exercé une influence considérable sur Naoki Yamakawa au moment où celui-ci il s’attela à la rédaction. Les dates concordent.
Le fait est que ça se lit tout seul, le récit trouvant le moyen, sous une plume experte, d’être à la fois posé et haletant dans son déroulé.
Cette famille normale et sans histoire si bien imbibée dans une affaire criminelle, sans personnages exubérants ou démonstrations de force qui viendraient gâcher la minutie de l’ingénierie qui s’orchestre, c’est un plaisir que de cheminer avec eux. Qu’on se le dise, c’est autre chose qu’un Spy x Family. On croirait que les auteurs ont réfléchi avant d’écrire. Chose inconcevable si l’on tient compte de l’époque.
Pire encore que de s’appliquer sur son écriture, Naoki Yamakawa aura été jusqu’à opérer un travail de recherche effectif, intensif et approfondi. Notamment pour ce qui tient lieu d’équipement, d’informations techniques sur les produits à employer, le fonctionnement du crime organisé et de ses méthodes, les technologies modernes, la serrurerie, les dispositifs policiers… . Je ne vous parle alors pas d’un travail de recherche du même ordre que ces mangakas en pause un mois pour « faire un travail de recherche » – ce qui est un nom de code pour « burn out » en japonais – car lui s’est réellement investi dans son écriture, puisant de la matière à transformer plutôt que d’éventer le néant sous nos yeux effarés comme cela ne se fait que trop souvent.
Si l’histoire s’était bornée à des manigances d’enquête, à savoir comment dissimuler un crime, elle aurait été sympathique ; mais avec le volet yakuza en complément, les écoutes et l’interrogatoire qui en résultent, l’intrigue s’épaissit non pas de vent ou de graisses molles, mais se muscle pour nous apparaître plus puissante. L’auteur n’a alors rien laissé au hasard, offrant à son œuvre tous les attributs afin de se présenter comme un manga complet, où protagonistes et trame évoluent en symbiose afin d’élaborer ensemble une édification complexe et délicate.
Le couple Tosu, sans pourtant d’une intelligence légendaire ; simplement en ayant un sens de l’observation correct et en se montrant prudent, sure les maîtres du Master Mind game sans perdre un semblant d’once de réalisme pour ce qui les compose. Voyez, c’est comme ça qu’on écrit des personnages intelligents ; en démontrant qu’ils sont intelligents de par leur habileté, et non pas en étant portés au pinacle par une narration échafaudée rien que pour les hisser frauduleusement.
Aucune facilité n’est à déplorer, Tetsuo s’enfonçant chaque fois dans une abîme plus noire pour s’extirper de la précédente et sans que cela ne soit excessivement dramatique ou déplacé. Toutes les conséquences de leurs actes sont d’une logique froide, savoureuse et implacable. La moindre victoire qu’il parvient à arracher à l’organisation trouve un revers bien amené ; voilà de la vraie difficulté dans un Mind Game.
D’ailleurs, à bien y réfléchir – à trop y réfléchir ? – My Home Hero est un Death Note en pantoufles où L et Kira seraient des pères de famille débonnaires à l’approche de la cinquantaine. On perd en testostérone et en effets grandiloquents, surtout lors d’un épisode de diarrhée calculé, mais on se plaît tout autant à lire ce qui vous vient, car l’intensité des manigances et autres roueries, si elle est larvée, a autant d’emprise sur le lecteur.
Tout criminels que sont les antagonistes, ceux-là sont aussi présentés dans l’entièreté de ce qui les constitue. Aussi, devoir ca un tort considérable – et donc mortel – à l’un d’eux, pour sauver sa peau, est un dilemme tout à fait soutenable pour ce couple néanmoins prêt à bien des sacrifices afin de garantir la sécurité de leur fille. Rien n’est simple de ce fait, tout est formidable ; la tromperie s’accomplit toujours dans la plus stricte logique qui soit avec les conséquences les plus tragiques que cela suppose.
La quasi-mort de Kyoichi, pourtant inéluctable au regard des enjeux, aura été un franc déchirement. Rares sont les œuvres capables de vous faire vous sentir mal lorsque l’adversaire est sur le point d’être tué. Et pourtant, Dieu qu’il valait mieux qu’il meurt.
J’ai tout particulièrement aimé le age de l’effraction de porte où, l’outil utilisé afin de se saisir du loquet, a été partiellement censuré afin que personne n’en fasse usage. Saine précaution, vraiment. Manque plus qu’à censurer les flingues et les homicides et, ainsi, le travail de salubrité publique aura été accompli avec brio.
Ah… le Japon.
Peut-être n’ai-je jamais autant jalousé un personnage que Tetsuo. Sa vie de couple est la plus saine qui soit, crédible qui plus est pour ce qui tient à ses relations familiales. Je souhaite en tout cas à chacun – et à moi le premier – de trouver une épouse aussi formidable que peut l’être la sienne et cela, nonobstant l’intelligence pratique et le courage de cette dernière.
Le combat de Tetsuo contre Matori doit bien faire partie de mes affrontements favoris. Deux hommes proches de la cinquantaine ne s’étant jamais battus, mais sans qu’on ajouta du burlesque à une situation déjà dramatique ; je n’avais rien lu d’équivalent depuis Saikyou Densetsu Kurosawa.
Petit bémol, car on ne laisse rien er quand un auteur est aussi scrupuleux dans ses œuvres, comment Tetsuo a-t-il réussi à charger le deuxième mort dans sa voiture pour aller l’enterrer ? Ayant ce qu’il faut d’expertise dans les pompes funèbres, je puis vous assurer qu’un corps se transporte laborieusement. Outre le poids, c’est la répartition de ce dernier qui complique le plus la tâche dès lors où il s’agit de le déplacer. Aussi il m’apparaît douteux que Tetsuo, avec ses forces propres, soit parvenu à déplacer un corps d’approximativement soixante-dix kilos à lui seul pour le mettre dans sa voiture alors que son véhicule était garé en grande agglomération et qu’il y avait en plus des escaliers à descendre. Même de nuit, quelqu’un s’en serait aperçu.
L’intrigue se relance très bien après la fin du premier arc, dans la stricte continuité de ce qui avait été entrepris, mais avec un renouvellement d’une part des enjeux afin de dégager de la fraîcheur. La narration, en aucune circonstance, ne laisse quoi que ce soit au hasard, celle-ci étant finement brodée pour agrémenter notre séjour en compagnie du récit. C’est là la marque d’un auteur qui ne s’en tient pas à ses acquis, mais qui sait toutefois conserver l’essentiel tout en faisant peau neuve.
Rien de tel qu’un conflit triangulé pour relever le piquant et l’imprévisible au regard des implications et des intérêts entremêlés et antagonistes. Le « Gang », la faction Kyoichi, la police anti-gang, les Tosu et la famille de Tetsuo formant à eux cinq la quadrature du cercle avec, en leur sein, des personnages intelligemment écrits pour lesquels on se prend facilement d’affection, indépendamment de leur caractère ou de leur faction.
Là où le é narrant la rencontre de Kasen et Tetsuo me serait apparu fantasque et rasant nulle part ailleurs, nous fumes si bien apprêtés à lire ce qui nous parvînt par le scénario et la narration que le rendu fut convenable. D’autant que le sens du détail ne corrobore que mieux le scénario et ses tenants afin de nous y convier plus aisément.
Il fut cependant assez longuet et rébarbatif à bien des égards alors que nous connaissions déjà près de la moitié de son contenu, à commencer par la fin… ce qui n’a rendu le tout que plus fastidieux pour que la bagatelle – qui nous aura duré près d’un volume entier, soit presque aussi long qu’un Flash Back One Piece – ne serve finalement que d’interlude impromptu.
Bien que correctement écrite, la longue parenthèse du culte de Gunma nous écarte trop longtemps des intrigues criminelles qui nous ont scotchées à l’œuvre. Ce groupe de protagonistes était de trop à mon goût, bien que l’auteur y ait pensé de longue date au regard des nombreuses amorces disséminés préalablement. C’est de là cependant que je tiens les rares instants de déception qui se seront profilés le temps de ma lecture.
Paradoxalement, plus l’action allait en s’accentuant en moins je m’intéressais à ce qu’on me racontait. L’arc du village a clairement faibli en tension, bien qu’il demeura de bonne facture. Du moins… si on fait fi du fait qu’il s’agisse d’un arc de damoiselle en détresse avec un dénouement prévisible et tardif. Du moins que le croyait on. On appréciera – et bigrement – l’ultime escapade de Kubo, là aura été la réelle valeur ajoutée de l’épopée villageoise ; sordide à souhait, notamment avec l’apothéose où le é de certains des habitants sera tragiquement et opportunément développé.
On aura rarement vu un homme bien engendrer tant de mal.
L’ellipse qui suit sait faire un très judicieux usage des éléments d’intrigue qui le précéda pour renouer avec le meilleur du première arc sans se dédire du deuxième. My Home Hero est une tragédie en trois actes dont l’issue, même si elle s’occasionnait sans mort parmi les protagonistes principaux, ne pourrait se soustraire au drame. Les rémanences du village en quête de vengeance, l’héritage de Kubo et une inspectrice de police dans la famille alliée à une ancienne figure se mêlent alors à merveille pour nous concocter un dénouement dont on sait qu’il sera grandiose.
Seulement, Kubo sort du personnage en s’improvisant homme-mystère. L’enthousiasme de ce début d’arc s’étiole et s’évapore peu à peu pour laisser place à un cadre routinier qui ne renoue assurément pas avec ce qui avait rendu ce manga aussi époustouflant. Attendons la fin de parcours ; j’avais enterré l’arc du village avant que ne s’entame sa partition ultime. J’attendais de voir où nous conduisait l’auteur, en espérant qu’il sut exactement là où il se dirigea et que les petites ridicules énigmes de Kubo n’aient finalement été qu’une ade. D’autant que je n’arrive pas à souscrire au fait que des enquêteurs laissent un civil les assister dans leur travail.
Finalement, cette ade trouvait un sens dans la duplicité des machineries de Tetsuo. Me voilà rassuré, bien qu’un peu lassé du temps que dura sa ruse.
L’histoire de Shino, un antagoniste évanescent et latent jusqu’à cet arc final, rajoute du corps à l’œuvre après qu’elle se soit temporairement laissée aller. Naoki Yamakawa, après tout, sait y faire pour nous déballer des personnages sympathiques, Shino et les enfants du village constituant ainsi un ultime tremplin vers une nouvelle strate d’enjeux.
Une fois n’est pas coutume, ayant rédigé ma critique en mai 2024 alors que le manga n’était pas achevé, j’ai attendu que le manga trouva enfin son terme de sorte à pouvoir le noter dans son intégralité. L’attente en valait bien et la peine et la critique, de toute manière, était programmée pour paraître près d'un an après sa rédaction.
Ouais, j’ai pas mal d’avance.
Même les bonnes choses ont une fin. Surtout les bonnes choses d’ailleurs, car on se plaît plus volontiers à regretter qu’elles aient un terme qui, quand on aime, annonce une césure déchirante. Fallait que ça se termine et, si la conclusion m’a laissé indécis, c’est car au fond, My Home Hero n’aurait pu se terminer autrement à moins de vomir ce qu’il fut. De même qu’une flèche s’oriente vers la cible qui lui est désignée une fois l’impulsion de l’arc engagé, l’issue de l’œuvre poursuivit jusqu’à son terme le chemin qui se façonna devant ses lecteurs un chapitre après l’autre. Rien n’aurait justifié que la trajectoire fut déviée et, à supposer qu’il se trouva prétexte à cela, cela n’aurait prêté le flanc qu’à la frustration. Cette fin, qu’on accueille presque avec un haussement d’épaules, nous travaille l’occiput si on prend la peine d’y penser de nouveau. Ce devait se terminer ainsi et, au fond, ça n’est pas plus mal d’avoir fait les choses si bien.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs mangas Seinen
Créée
le 19 avr. 2025
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