Rencontre avec le Diable
En début d'histoire, Etienne apparait bestial, violent et très instinctif. C'est dans ce tome qu'il rencontre pour la première fois le loup. "Nos vrais ennemis sont en nous-même. " Bossuet, Oraison...
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le 11 oct. 2014
De BD d'espionnage entamée sous les auspices du réalisme, La Croix de Cazenac n'avait pas mis longtemps à se métamorphoser, de manière aussi brutale qu'inattendue, en un récit iniatique sur fond de chamanisme d'opérette, le tout à grand renfort d'hémoglobine et d'absurdités. La première trilogie, rétroactivement appelée "Cycle de l'Ours", s'était cependant achevée sur un statu quo ; le cadet de la famille titulaire, Étienne, restant en Sibérie pour parachever sa transformation en Jedi de la taïga, pendant que son frère Henri et sa belle-sœur Louise s'en allaient reprendre leurs activités d'agents secrets du gouvernement français, alors plongé dans la Grande Guerre.
Deux directions possibles s'offraient donc aux auteurs Pierre Boisserie et Éric Stalner : renouer avec le classicisme des débuts de la saga, ou enfoncer le clou du grand-guignolesque introduit à l'occasion du tome 3. Quel serait le parti pris par Némésis ? La couverture de ce quatrième album présente déjà un élément de réponse, nous montrant un individu hirsute perché sur une statue d'ange, les doigts griffus et le regard possédé, torse nu et pantalon de pyjama sous son imperméable noir, devant un ciel positivement apocalyptique... L'ambiance vieille école de Cible Soixante paraît déjà bien lointaine.
Pourtant, Némésis semble d'abord tenter de recréer l'ambiance du premier album, en démarrant en "Octobre 1915, sur le Front, au nord de la , quelques kilomètres à l'intérieur des lignes allemandes", dans un paysage de désolation marécageuse et une ambiance de pleine-lune qui rappelle L'Enfance d'Ivan, premier film d'Andreï Tarkosvki. L'on y retrouve Étienne, non seulement déjà revenu de Russie, mais bombardé lieutenant, là où nous l'avions quitté caporal la dernière fois qu'il portait l'uniforme. Ah, le piston...
Cela étant dit, le jeune homme n'a pas choisi la facilité, puisque le voilà membre d'une unité d'Inglorious Basterds à la française, des francs-tireurs spécialisés dans l'infiltration et le sale boulot. Il a conservé pour l'occasion ses griffes de Le Sang de mon Père, désormais en acier et rétractables et non plus en roche grossièrement taillée, mais ce n'est pas si ridicule que cela : il suffit de voir les véritables armes employées par les "nettoyeurs de tranchées" de 14-18 pour s'en convaincre ("1914 : début du Moyen-Âge", comme l'avait bien résumé le Musée de la Grande Guerre de Meaux).
Nous apprenons très vite qu'Étienne a quitté la Sibérie avant de finir sa formation de chaman, mais il ne se sent pas pour autant très en phase "au beau milieu de cette sale guerre, à [se] demander qui [il] combat vraiment : les Allemands ou [son] propre démon ?" Le témoin de ce vague à l'âme est le capitaine Fabien M., héros d'une précédente série de Stalner, un blondin gouailleur et charismatique qui n'est lui-même pas étranger aux cultures dites "primitives", et les échanges entre les deux officiers font partie des meilleurs ages de l'album. "Cette guerre voudrait faire de nous des animaux, Étienne, mais nous restons des hommes avant tout."
Ces discussions plus philosophiques que tout ce que nous avons pu voir à l'issue des trois précédents tomes pourraient donc laisser augurer une reprise un peu plus intelligente de la série, mais il n'en est rien. Les planches suivantes nous plongent dans un paysage bavarois de carte postale, et plus précisément un château gothique que n'aurait pas renié le célèbre souverain local Louis II. Le propriétaire de ce modeste établissement est le personnage de la couverture, et principal antagoniste de ce nouveau "Cycle du Loup" baptisé ainsi en son honneur : le baron Wolfgang von Straufenberg - à ne pas confondre avec le comte Claus von Stauffenberg, officier borgne ayant tenté d'assassiner Hitler. Ce Straufenberg-là est un peu plus porté sur Hermann Hesse que sur Stefan George, puisqu'il se prend littéralement pour un loup et poussera Étienne à embrasser sa nature animale plutôt que d'essayer de l'apprivoiser. Tels seront, en gros, les enjeux de cette nouvelle trilogie.
Parallèlement, le baron (dont les oreilles pointues le font fortement ressembler à Hugo Weaving dans Le Seigneur des Anneaux) entretient une façade de riche industriel suisse, et comme le monde est petit, c'est son financement très officieux de la cause allemande qui attire l'attention des renseignements français, qui envoient Louise et Henri Cazenac près du Lac Léman pour enquêter. L'ambiance n'est malheureusement pas au beau fixe entre nos deux agents secrets, la belle ayant du mal à oublier son ex-séminariste de beau-frère, par ses soins déniaisé. Cet aspect de "l'intrigue" allait sérieusement plomber les deux tomes à venir, mais il reste pour l'heure anecdotique. Hélas, l'exploration du rôle de la Suisse et de sa neutralité légendaire pendant la guerre de 14-18 n'est malgré tout qu'effleuré, la priorité de Boisserie et Stalner allant vers les relations entre les deux chamans, l'Ours en quête d'identité et le Loup corrupteur.
Mais même cet angle faustien reste superficiel, puisqu'au lieu de l'aborder avec sérieux, les deux auteurs préfèrent se complaire dans les excès du tome précédent. Si vous aimez les gorges tranchées à hue et à dia, Némésis est pour vous. Sinon... eh bien, comme moi, vous faites contre mauvaise fortune bon cœur en irant le dessin d'Éric Stalner ; mais alors, c'est pour vous rendre compte, fatalement, que lui aussi a quelque peu baissé. Cela reste très agréable, surtout en matière de décors (la juxtaposition entre la splendeur paradisiaque du Lac Léman et le paysage cauchemardesque du front fait merveille), mais le trait gracieux du dessinateur baigne dans une lumière orangée assez désagréable, que je suppose découler du film La Chambre des Officiers de François Dupeyrons, sorti quelques années plus tôt et consacré à la Première Guerre Mondiale lui aussi.
Bref, Némésis, quatrième album de La Croix de Cazenac, n'a pas grand-chose de plus à offrir que son prédécesseur, confortant les tendances les plus tape-à-l'oeil de ce dernier, aux dépens de l'approche plus subtile et classique sur laquelle s'était ouverte la série. "Nos vrais ennemis sont en nous-mêmes," dit cette fois le quatrième de couverture, citant Bossuet et ses Oraisons Funèbres. Pas sûr que Pierre Boisserie ait réalisé toute l'ironie, et la pertinence, de cette citation...
Créée
le 11 mars 2021
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