Petites lacérations entre revenants
Le tome 2 se révèle d’une lisibilité fort supérieure au tome 1, qui était semé d’énigmes dont les relations mutuelles et la cohérence restaient à l’arrière-plan. Dufaux nourrit un penchant marqué pour les successions de scènes fortes, qu’elles soient violentes, sexuelles ou perverses, et cherche à appâter le lecteur en remettant à plus tard le pourquoi et le comment. Il nous fait son petit numéro, racoleur comme un pré-générique de thriller, et retarde sans scrupule la mise à disposition de l’intelligence des événements par le lecteur.
Si ce tome 2 ne forfait point à cette règle, on est tout de même rasséréné de recevoir quelques explications, dont le lecteur trouvera le détail dans le récit. On se bornera à quelques remarques, généralement positives au sujet du récit :
• la succession des surprises et des retournements de situation est à peu près continue, et présente un rythme élevé, pour le bonheur du lecteur avide d’émotions
• les personnages s’enrichissent de leur é ; ainsi, Vicky Lenore a souffert d’être la fille d’un père trop autoritaire, et a du mal à s’attacher ; et on sait qui sont les deux musclés sexy en rouge qui dépiautent tous ceux qui ont un kyste derrière l’oreille
• la persistance de Dufaux à ne pas utiliser le mot « vampire » contribue à la crédibilité des personnages « spéciaux » mis en scène, dans la mesure où le lecteur peut estimer qu’il s’agit, après tout, d’une race humanoïde de cinglés certes, mais qui n’a pas à respecter toutes les traditions attachées par la culture universelle aux vampires.
• De même, il distille le mystère en imposant des images énigmatiques proche des emblèmes primitifs, qui rappent le subconscient avant de trouver une explication ; par exemple, cette figure de larve-dragon ailé, qui court au long de la série ; ou bien l’épée que voit Aznar (planches 2 et 36).
• un jeune homme, Aznar Akeba, pourvu d’une jolie gueule, est parti pour être le héros du combat contre ceux qu’on appelle les « Rapaces » ; mais sa personnalité est encore obscure, et peut réserver des surprises nouvelles (planches 19 et 21).
• Dufaux conjugue le surnaturel, le pervers et le dépravé pour épicer son récit ; Marini est souvent conduit à nous livrer de belles images magiques ou gothiques, avec assemblée de buveurs de sang, cimetière, cryptes, nécropoles, ossuaire planche 40 ; donjon sinistre planche 26. Beaux effets de lumière dans la vision d’Aznar (planches 1 et 2).
• Côté déviant et dépravé, Dufaux n’économise pas les effets : la boîte de nuit des planches 5 à 8 fourmille de travestis sexo-sado-maso, gothico-nihilistes, où l’on croit entendre le tintement des anneaux et bagues dont certains se sont poinçonnés jusqu’à plus soif, en attendant que la drogue achève de les dépouiller d’humanité.
• Sang, chair éparpillée et murs rougis en donneront pour leur argent à ceux qui sont nostalgiques de la gent vampire.
• Les explications attendues sont agrémentées d’un intéressant insert qui fait très «Heures sombres de l’Inquisition espagnole », vers le XVIe ou début du XVIIe siècle à vue de nez (planches 26 à 34).
• On aime bien les allusions culturelles dont Dufaux ne peut se départir : « Mes nuits seront toujours plus belles que vos jours » (planche 29), portrait qui change au cours des siècles (planche 34).
• Quant à la sexualité, elle n’est pas dépourvue de piquant : outre les sado-masos de la boîte de nuit déjà citée, on assiste à un fort incestueux baiser des deux rapaces (planche 38), à la drague lesbienne en règle de Vicky par la rapace (planches 48 à 52), au viol de Vicky par le frère de son amante (planche 53)...
En revanche, si l’argument central relatif aux vampires est assez bien trouvé, on a peine à comprendre la démarche des vampires « dégénérés », qui préfèrent le pouvoir social à l’immortalité. Faut être un peu cinglé pour faire un tel choix, fort peu crédible de la part de quelqu’un qui a l’éternité devant soi.
Un récit gothique sulfureux et original, qui a tendance à préférer les effets-choc à une certaine vraisemblance. En filigrane se dessine une suggestion, tout à fait dans la ligne des théories du complot illuminatesques et autres faridondaines urbaines : qui se dissimule exactement derrière ceux qui dirigent la société ? Le pouvoir n’est-il pas intrinsèquement pervers, et le pôle d’attraction de tout Mal ?