Serena
7.4
Serena

BD franco-belge de Terkel Risbjerg (2018)

Vénal est le venin

Après une adaptation cinématographique peu convaincante par la Danoise Susanne Bier en 2014, ce fut au tour, quatre ans plus tard, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg (lui-même Danois également), de transposer en bande dessinée le roman de Ron Rash paru en 2008. Si la moulinette hollywoodienne en a fait un mélo hautement romanesque ablement édulcoré, le duo Pandolfo/Risbjerg semble non seulement avoir mieux respecté l’esprit originel du roman, mais il l’a magnifié.


Pour les besoins de sa conversion en BD, Anne-Caroline Pandolfo a su parfaitement resserrer le scénario tout en y intégrant une tension omniprésente, faisant que d’emblée et jusqu’à la conclusion, le lecteur est littéralement happé. Et ce personnage de femme charismatique qu’est Serena n’y est pas pour rien. Lorsque celle-ci débarque avec son mari George Pemberton, dirigeant d’une exploitation forestière, dans cette petite gare des Smoky Mountains, dans le but de faire prospérer la compagnie, on comprend vite que c’est la jeune femme qui tire les ficelles. Dès la troisième page, l’image est frappante. En sortant du wagon, Serena suit son mari, qui du coup apparaît plus petit tandis qu’il a déjà posé le pied par terre. Avec son regard déterminé et son allure altière, elle s’impose comme la marionnettiste dominant son pantin de mari, ce que va confirmer la suite de l’histoire qui se lit comme un thriller palpitant où tous les coups seront permis.


Loin du film lisse de sa compatriote, Terkel Risbjerg au dessin nous livre une version bien plus âpre du roman, avec son trait charbonneux qui va à l’essentiel, et c’est ce qu’on aime chez lui. Avec paradoxalement peu de détails, les expressions des visages sont très bien rendues, à commencer par le regard imperturbablement froid, sans émotion, de Serena. La mise en page est fluide et variée, et on apprécie la façon dont Risbjerg restitue les paysages de Caroline du Nord, un peu à la manière d’un peintre, prouvant sa maîtrise de la couleur comme du noir et blanc, ainsi qu’on avait pu le voir avec « Le Roi des scarabées ». Du grand art.


Si la nature et le thème de l’écologie évoqués dans le livre de Rash sont bien repris ici— de l’écologie avant l’heure puisque l’histoire de déroule dans les années 30 —, les auteurs semblent s’être davantage centrés sur les personnages, mais en particulier, bien évidemment, sur celle qui donne son nom au titre de l’histoire. Serena domine tout le récit de son aura puissante et mystérieuse, reléguant toutes les autres figures au second plan. Serena est une calculatrice à sang froid et une prédatrice implacable — à l’image de l’aigle qu’elle va dresser pour décimer les serpents qui tuent les ouvriers de l’exploitation —, exterminant tout ce qui a le malheur d’être à sa portée, les âmes, les êtres, les arbres ou les animaux, animée par une haine profonde et dérangeante dont on ne connaîtra jamais l’origine. D’ailleurs, on ne saura jamais rien du é de cette femme, aussi fascinante que détestable, et peu encline à laisser filtrer la moindre émotion. Du double dénouement – qui donne froid dans le dos et fait de Serena un être surnaturel et maléfique – on ne révélera évidemment rien…


Une fois encore, les auteurs dressent le portrait d’un être hors normes. Férue d’adaptations, Anne-Caroline Pandolfo a ce talent certain pour détecter de bonnes histoires avec des personnages singuliers et marquants. Pourtant, il ne suffit pas de prendre un bon livre, encore faut-il savoir en faire une adaptation qui honore l’œuvre originale. Avec le concours de son brillant alter-ego Terkel Risbjerg, celle-ci a fait plus que l’honorer, elle l’a transcendé en se l’appropriant, lui donnant une nouvelle vie.

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 8 avr. 2020

Critique lue 75 fois

Laurent Proudhon

Écrit par

Critique lue 75 fois

D'autres avis sur Serena

Serena, on l'a déteste ionement !

Petite critique pour une grande BD sortie de nulle part... Le genre d'histoire qu'il vaut mieux lire sans se spoiler afin d'être toujours plus étonné par la tournure que prennent les évènements...

Par

le 15 avr. 2018

10 j'aime

2

Vénal est le venin

Après une adaptation cinématographique peu convaincante par la Danoise Susanne Bier en 2014, ce fut au tour, quatre ans plus tard, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg (lui-même Danois...

le 8 avr. 2020

Amazone du profit

D'après le roman de Ron Rash, nous évoluons tel un réel western aux mains de la gente féminine. Serena, dompteuse d'aigle sur la selle de son cheval arabe blanc maitrise la société d'exploitation de...

le 4 nov. 2018

Du même critique

Fahrenheit 2.0

Dans une futuriste, la révolution numérique semble avoir atteint un palier… Les mémoires sont saturées, l’istration doit faire de la place en supprimant les données les moins consultées...

le 26 févr. 2020

16 j'aime

2

Personne n'y comprend rien
10

Les juges et la racaille

Ce documentaire arrive à point nommé pour décortiquer l’affaire du financement lybien de la campagne présidentielle de 2007 en . Alors que les auditions viennent de démarrer pour Nicolas...

le 16 janv. 2025

9 j'aime

1

Apocalypse en Oklahoma

Cet album très attendu d’Aimée de Jongh est un véritable choc visuel et sensoriel, ce qui en fait assurément un événement pour cette année 2021. C’est à partir d’un fait historique un peu oublié, le...

le 19 juil. 2021

8 j'aime