Cette critique n’évoquera que le premier cycle de la Complainte des Landes perdues, soit les 4 tomes de Jean Dufaux et Grzegorz Rosiński parus entre 1993 et 1998.
Si elle n’avait du se porter que sur le premier tome, elle aurait été enthousiaste, peut-être même ionnée.
Jean Dufaux offre une mise en bouche fascinante, portée par la personnalité de son héroïne, la jeune Sioban, esprit vif et malin mais princesse sans royaume, fille d’un seigneur tué à la guerre lors d’une terrible bataille, et la richesse de son univers. Car Sioban, héritière du clan des Sudenne, ne peut assister qu’impuissante au remariage de sa mère avec son oncle, mystérieux homme de pouvoir.
Il se trame ainsi des intrigues de cour, dans des jeux de vassalité ou de trahison, et où la magie et les légendes ne sont jamais loin. Sioban a un don que l’énigmatique mais amical Seamus, membre d’une mystérieuse confrérie des Chevaliers du pardon va encourager.
Même si La Complainte des Landes perdues utilise certaines thématiques assez communes au genre de la fantasy médiévale, le scénario de Jean Dufaux arrive à créer un juste milieu entre la personnalité de son héroïne, Sioban, et la dureté d’un monde où le mal a gagné.
Le parcours de la jeune Sioban a ainsi tout d’une quête initiatique, révélant au monde et à elle-même quelle est sa place.
Mais l’herbe lui est coupée sous le pied, par un deuxième tome qui conclut les principales intrigues du premier tome et ce de manière bien cavalière. Jean Dufaux aurait pu faire durer son histoire, certaines pistes auraient pu être développées, mais non. Et s’il est désagréable de lire une saga qui s’éternise car l’auteur ne sait pas ou plus aller, à l’inverse boucler ainsi une telle richesse par un gros nœud bien indigeste est tout aussi frustrant.
Le troisième tome poursuit malgré tout l’histoire de Sioban, prenant parti de son nouveau statut, avec de nouveaux intrigants qui viennent s’inviter dans ces luttes de pouvoir. Et là encore si ce nouveau volume remonte la pente, c’est pour mieux décevoir, avec un rebondissement à la fin qui annonçait le pire, une mauvaise idée confirmée et poursuivie dans le quatrième volume. Et qui rangera une nouvelle fois ses personnages et ses intrigues au chausse-pied avant la dernière case de la dernière page.
Cet intérêt pour l’univers des Complaintes perdues ne vient pas seulement des idées réussies de son histoire, mais aussi de son univers visuel, mis en scène par Grzegorz Rosiński. Le génial dessinateur avait déjà mis à profit son trait pour la grande référence de la bande dessinée d’heroic fantasy, avec les Thorgal. Avec Jean Dufaux et sa coloriste fétiche, la talentueuse Graza, il met en images un univers de contes et légendes, situé dans un paysage vaguement celtique assurément mystique. Ses personnages ont plus de volume qu’un simple ensemble de contours, leur offrant une personnalité bienvenue, tant que le scénario est à leurs côtés.
Il y a tout de même un certain essoufflement dans le dessin du quatrième tome, qui semble précipité. Grzegorz Rosiński était fortement impliqué dans l’aventure des Thorgal dans cette décennie, avec une dizaine de volumes pour cette série phare, les Complaintes des Landes perdues semble avoir été délaissé pour cette fin de cycle.
Qu’il est regrettable de constater l’inconstance de cette série, pleine de promesses, parfois gâchées par des développements peu opportuns et surtout des résolutions trop faciles. Heureusement, le trait de Grzegorz Rosiński permet de moins grincer des dents devant les bas de ces quatre tomes. Si on a apprécié son travail sur Thorgal, on peut au moins offrir un regard pour le sien sur cette série.
Si ce premier cycle se finit sans éclats, Jean Dufaux a tout de même voulu continuer à poursuivre son univers, après une pause de quelques années. Le tome 5 en 2004 a inauguré un nouveau cycle, d’autres ont suivi encore récemment, avec de nouveaux dessinateurs impliqués et d’autres pans du décor dévoilés. La lecture de ce tome ne m’ayant pas convaincu et ayant suffisamment été déçu par les précédents, je ferais donc l’ime sur la suite, à moins qu’on arrive à me convaincre que la série se rattrape ensuite.