Il y a un début à tout.
Mais il y a des débuts qui ...n'en sont pas.
Longtemps resté inédit, laissant la place de premier album au très (trop?) contesté Tintin au Congo, Tintin au pays des soviets est une véritable merveille, au sens médiévale du terme.
On reste perplexe devant ce Tintin qui n'a rien à voir avec le Tintin que l'on connait bien.
Point de Dupondt, point de Castafiore, point d'Alcazar, point de Rastapopulos, point d'Haddock. Et surtout, point d'intrigue.
Une simple propagande contre-propagande, une sorte de Captain America belge, journaliste et esquissé en noir et blanc.
A l'image des vieux films muets des débuts du cinéma, loin de ce qu'on peut connaître aujourd'hui.
Une genèse, donc. Mais pas la genèse.
Car Tintin y est personnage de cartoon dont les aventures ne sont qu'une suite de gags bien trop exagérés:
- Tintin et Milou sont dans un train. Un méchant - connu ni d'Eve ni d'Adam, ni de personne d'ailleurs - pose une bombe dans le wagon pour les tuer et s'enfuit. La bombe explose. Tintin et Milou tout noircis, orphelin de wagon et de train, semblables à Daffy Duck s'étant pris une fusée nucléaire dans la figure, s'étonnent de ne plus avancer. Sapristi, aurait-on essayer de mettre un terme à leur existence?
- Tintin se fait assommer. Couché par terre, il compte les chandelles qui volent aussi de sa tête: "36, le compte est bon!"
- Tintin découvre que les russes sont des amateurs des Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet: comme le Secret de Maître Cornille, ils font croire que leurs usines fonctionnent. Mais ils le font, munis de l'attirail d'un Bugs bunny; avec pistes sonores et machineries de théâtre.
D'une page à l'autre, Tintin et Milou s'envolent d'un côté puis de l'autre, victimes de leurs pitreries mais toujours étonnés de leurs conséquences: les répliques "où vais-je?", "où suis-je?", répétées comme de lancinants refrains, donnent l'impression d'un rêve étrange, comme si Tintin était possédé par Alice et se promenait dans une Russie quasi-anonyme et plus souvent berlinoise qui serait surtout le pays des merveilles d'un Carroll et même d'un Kafka.
C'est ce qui fait de cet album une merveille: un album resté longtemps introuvable où Tintin et Milou se surprennent de tout en surprenant le lecteur.
Un album très drôle, sans doute un peu long. Mais un Tintin d'une réalité parallèle qui peut décevoir par son trop plein de fantaisie un puriste tintinophile.