La fiction a toujours été un détour particulièrement efficace pour affronter le réel, ce n’est un secret pour personne : corriger les hommes en les divertissant est un programme établi depuis l’Antiquité, et les métaphores ou autres symboles combinent les mérites de la beauté poétique et de la mise en mots des thématiques les plus complexes.
C’est là le sujet du dernier film de Robert Zemeckis, qui a toujours été friand de destinées vaguement à la marge ou sur les voies de la rédemption, deux tendances que son protagoniste va fusionner.
Son film est en réalité un double apologue : le récit (adapté d’une histoire vraie, cela va de soi, parce que toute destinée américaine se doit d’exploiter l’extraordinaire potentiel romanesque des héros de la nation) d’un homme traumatisé, se réfugiant dans un monde fictif peuplée de poupées qui rejouent à l’infini son drame, et qu’il photographie à des fins artistiques.
Le procédé de mise en abyme est ainsi offert sur un plateau, et permet au réalisateur d’exploiter son autre grande ion, celle de l’animation, au fil de séquences qui prennent pratiquement le pas sur le récit encadrant, et formulent les angoisses dans un contexte guerrier de 2nde guerre mondiale avec nazis inclus (pourquoi cette période ? Parce qu’à ce moment-là, on était clairement du côté des gentils, explique le démiurge), jouant sur l’esthétique des Barbies et Ken en talons aiguilles, parce que "lien avec le trauma originel" et le "crime de haine" des méchants (néo)nazis.
L’ensemble peut être amusant un petit quart d’heure, et ferait un court métrage pertinent, dans lequel on garderait l’une des rares belles séquences où le mouvement de caméra e de la maison de Mark à ses soubassements qui donnent directement sur la cour reproduisant cette fameuse place de village, belle mise en image de cet accès à un inconscient affrontant le réel par le refoulement et le déplacement, au sens propre comme au figuré.
Le problème, c’est qu’on met à équivalence l’état de Mark, presque enfantin, et les dispositions du spectateur. On a rarement vu aussi explicite que ce récit, qui, dès ses premières séquences et son inable musique puisant dans toute la tradition hollywoodienne (Alan Silvestri, grand fidèle de Zemeckis, n’est est pas à son coup d’essai et se contente de recycler les bonnes vieilles recettes) consistant à ambiancer la moindre seconde pour guider grossièrement la partition à émotions. Même les titres non originaux Just my imagination des Temptations, Help me de Joni Mitchell…) sont choisis pour sur-expliciter, dans leurs paroles les enjeux visibles à l’écran. Il en ira de même pour l’exposition (les bonnes vieilles coupures de journaux), le trauma en flash-back fragmentés et de plus en lisibles, et les parallèles constants pour bien souligner comment un élément du réel s’est fictionnalisé. Il suffit de voir le nombre de fois où on nous explique comment Nicol devient une poupée, jusqu’à la répétition presque gênante d’une tierce personne sur le nouveau patronyme de la ville.
Tout est à l’avenant, selon une structure redondante : je suis traumatisé, je me réfugie dans le chaos de la fiction. Voici une belle séquence de fiction, on l’achève dans le viseur de l’appareil photo – attention, abruti spectateur, souviens-toi, il s’agit d’une fiction dans la fiction.
L’Inconscient pour les Nuls suppose donc une verbalisation du moindre enjeu, et le prétexte à des séquences animées qui sont finalement la réelle finalité d’une fable qui n’a pas grand-chose à raconter, si ce n’est les sempiternelles trajectoires de rédemption contre l’alcool ou la dépendance (Flight faisait la même chose – en pire), à grands renforts de ressorts indignes comme le discours écrit qu’on abandonne parce que conviction subite face à un public qui acquiesce avec émotion, - spectateur, souviens-toi, c’est là que tu pleures ta catharsis.
Resterait donc l’argument technique : on rajeunit Carrel et on numérise Janel Monae (qui n’en demandait pas tant) et Leslie Mann (qui n’avait pas attendu la CGI pour se plastifier le faciès), on canarde à tout va dans des séquences déjà vues cent fois dans les blockbusters. On pourrait considérer cela comme divertissant, appauvrissant considérablement le motif premier qui, rappelons-le explorait les mérites de l’apologue, censé déboucher vers une réflexion. Mark recourt à ses récits, Zemeckis les met en image. Mais lorsqu’on cite jusqu’au plus profond malaise la DeLorean de Retour vers le futur, heure de gloire de sa filmographie, on peut se demander ce qu’il reste du visionnaire qu’il a pu être.