Le film s’appelle Black Dog et dedans il y a un chien noir (CN). C’est le prosaïsme chinois.
Contrairement à Beethoven, Lassy, Croc Blanc, ou encore Belle, le CN n’a pas de nom. C’est le chien noir anonyme (CNA). D'ailleurs aucun chien n’est nommé dans le film, à part le chiot blanc de la petite fille qui pleure (Annie ?).
D’habitude dans les films de chiens, le chien est plein de qualités. Le Bouvier Bernois est enjoué, le Colley est majestueux, le Chien-loup est courageux, le Patou est affectueux. Le chien noir anonyme, en revanche, n’a pas de qualité particulière. C'est le chien noir anonyme sans qualité (CNASQ).
Ce qui retient l’attention dans Black Dog, c’est qu’il n’y a pas un chien mais des chiens. D’un côté le lévrier aristocratique, de l’autre la masse des chiens errants. Il y a un va-et-vient permanent entre le chien-un et le chien-multiple. Le film s’ouvre sur une belle scène de meute qui court. Parfois la meute est capturée et se retrouve compartimentée. Les chiens sont mis dans des cages, y compris le CNASQ. Puis ce dernier est libéré et commence alors l’histoire d’un étrange agencement entre l’homme et l’animal. On ne sait pas qui est le maître de qui. La relation entre Lang et son lévrier n’avance pas de manière linéaire mais saccadée. Ils ne forment pas un duo. Le chien apparaît puis disparaît, obéit puis désobéit. Tantôt il est gentil, tantôt il est agressif. Le lien s’approfondit entre les deux par à-coup. On ne sait pas non plus si ce lévrier est un bienfait ou un poison. Est-ce que Lang va attraper la rage après avoir été mordu ? C’est une drôle de relation, intéressante par son côté bancal et à contre-temps. Elle n’est jamais vraiment peinte mais seulement esquissée, comme cette scène où le maître joue brièvement de la guitare devant le chien sagement assis. Quelques accords et c’est tout.
Si la catégorie de “film de chien” existait, Black Dog y occuperait une place tout à fait singulière. Le film de chien est en général pensé pour les enfants, avec des enfants. Il est familial et divertissant. Le chien y est nettement individualisé, humanisé, paré de toutes les vertus. Tandis que le film de Guan Hu explore les rapports entre un adulte, un trentenaire marginal, et un chien dont le corps maigre fait penser à un signe de ponctuation, virgule noire ou point d’interrogation mis à l'horizontal. C'est un film introspectif, dont la réussite indéniable consiste à faire de l’animal un mystère du début à la fin, sorti d’on ne sait quel trou dans un mur, mort on ne sait comment. Le chien est noir parce qu'il est l'ombre projeté de son maître.