Je n'ai pas la prétention d'expliquer pourquoi Citizen Kane est au cinéma ce qu'Ocarina of Time est au jeu vidéo. Mais le principe est tout simple et va surtout résumer ma vision du cinéma, que ce chef-d'œuvre incarne à la perfection : il équilibre le mieux possible le fond et la forme. Parfaitement équilibré, tyrannique dans le fond comme dans la forme, Citizen Kane gagne sa réputation car Citizen Kane a compris que le cinéma, ce n'est ni la forme, ni le fond, c'est la forme ET le fond.
Citizen Kane est le film où rien n'est laissé au hasard, sans que cela ne soit sibyllin, sans qu'il ne fasse exprès d'être caché au spectateur, et sans non plus se contenter de montrer ce qu'il sait créer sans le créer vraiment — cinéma contemporain si tu m'entends. Orson Welles nous amène en profondeur dans chaque personnage, ses plans en plongée et contre-plongée, prédominants, font directement sens, comme c'est le cas pour toute son esthétique.
Mais, loin d'être un Godard ou un von Trier qui, vingt et cinquante ans plus tard, vont surfer sur cette esthétique en prétendent " Ouais, le cinéma c'est l'esthétique alors je vais mettre un plan par-ci, une règle de l'air par là, une caméra instable au-dessus et ce sera un succès qui bouleverse les codes ", Welles réussit à nous pondre une histoire — n'ayons pas peur de le dire — haletante, fluide à suivre et particulièrement présente, où chaque ligne du scénario s'allie avec chaque plan. S'il démontre évidemment, il est efficace lorsqu'il montre seulement, et peut laisser son spectateur tranquille lors d'une première lecture.
Mais justement, au fil du temps, l'iration intellectuelle que j'avais pour ce film s'est vite révélé me laisser insensible. Je ne suis pas persuadé que ce soit un film qui se laisse revoir plusieurs fois avec fois, à l'inverse de chefs-d'œuvres qui peuvent moins raisonnablement se justifier, et c'est là leur force. Chef-d'œuvre absolu par-ci, règle d'or par-là, Citizen Kane s'est affirmé dès ses débuts comme le porte étendard des cinéphiles dans le mauvais sens du terme. Être cinéphile, c'est tout sauf aimer le cinéma. Êtres cinéphile, c'est être capable d'analyser chaque image de chaque plan de Citizen Kane, c'est pondre une thèse sur l'héritage d'Orson Welles, c'est justifier tout Godard, c'est expliquer tout Truffaut. C'est, peut-être, finir par ne plus rien ressentir devant chaque plan de ces films qu'on a un jour aimés, avant de les avoir ruinés par des mots, des mots, des mots. Ça, ce n'est pas voir. Et si ce n'est pas voir, ce n'est pas être spectateur. Et si ce n'est pas être spectateur de cinéma, c'est ne pas aimer.
Alors, puisque je l'ai vu il y a cinq ans peut-être et oublié depuis, tant mieux ; j'en reste spectateur. Citizen Kane me revient à l'esprit à l'occasion de certains débats cinématographiques, je m'amuse de Rosebud comme tout le monde, et ma réplique préférée des Simpsons est et restera " Wait a minute... there was no cane in Citizen Kane ! ". Alors, je garde l'honneur de pouvoir dire, simplement, sans en tirer rien d'autre, et par ce qu'il faut le dire, l'avoir vu, et le faire :
J'ai vu Citizen Kane.
Modifiée
le 26 févr. 2014