Comancheria désigne l’ancien territoire comanche à cheval entre le Texas et le Nouveau-Mexique. Ce pays, chargée d’histoire de luttes et de changement est devenu une vaste zone de laissés-pour-compte où le temps semble s’être arrêté. Un sentiment accentué par de nombreux plans montrant des alignements anarchiques de préfabriqués ou des décharges à ciel ouvert pleines de vieux tacots rouillés. C’est dans ce paysage aride et hostile que le réalisateur britannique David Mackenzie, plus habitué au ciel gris et à la pluie, pose ses valises pour un tournage de 6 semaines avec un scénario sous le bras à mettre en scène. Écrit par le texan Taylor Sheridan, qui est également à l’origine du scénario de Sicario, Comancheria raconte l’histoire de deux frères, Tanner et Toby Howard, qui commettent des braquages pour rembourser l’hypothèque du ranch familiale et ainsi empêcher sa saisie. Deux vieux briscards des Texas Ranger, Marcus Hamilton et Alberto Parker, se lancent rapidement à la poursuite des braqueurs, décidés à les stopper.
Les Raisins de la colère est la première référence à laquelle on pense. Des paysans américains contraints de mettre leurs fermes sous hypothèque, l’incapacité de rembourser et très vite, l’expropriation et la saisie des biens par la banque. Ce sentiment d’urgence est très bien amené par Mackenzie avec cette échéance qui est fixée à la fin de la semaine et qui représente tout au long du film une épée de Damoclès au-dessus des Howard.
Ces desperados aux allures de cowboys forment un duo très différent mais se complète parfaitement. L’un commettant ces forfaits par nécessité, l’autre par plaisir de s’en prendre à des symboles, que ce soient les banques ou les forces de l’ordre, d’un système dont il a été écarté et qu’il juge responsable de tous ses malheurs. Pour contrebalancer ces frères de sang, Mackenzie place dans l’échiquier un autre duo composé de frères d’armes. Jeff Bridges, qui interprète Marcus est parfait dans son rôle de policier proche de la retraite, qui aimerait être tué dans cette dernière opération plutôt que de devoir affronter la solitude et l’inactivité. La prestance de l’acteur est bluffante, au point de voler la vedette au duo de braqueurs, interprété par Chris Pine et Ben Foster.
Un aspect marquant dans Comancheria est cette impression de réalisme extrêmement forte. Mackenzie a d’ailleurs dit dans une interview qu’il souhaitait garder un souci obsessionnel du réalisme, commun à tous ses films. Avec un scénario écrit par un enfant du pays et avec ces quelques musiques de rock et country judicieusement placées par Nick Cave et Warren Ellis l'immersion dans ce paysage ensoleillé, mais paradoxalement lugubre, est totale.
Film bourré de testostérone, tourné sous une lumière éblouissante, Comancheria se révèle être bien plus qu’un simple film de braquage resservant des situations et des personnages vus un nombre incalculable de fois au cinéma. Ponctué de silences qui souvent parlent plus que de longs discours, le regard neuf, car européen, du réalisateur sur une Amérique qui semble avoir été abandonné à son triste sort donne à Comancheria une envergure inattendue. Un réalisateur à suivre de très près.