Docteur Laid et Mister Beau

C'est bien évidemment à Dr Jekyll & Mr Hyde de Stevenson que Jerry Lewis emprunte son sujet, mais il a eu le génie d'inverser le schéma traditionnel avec un timide professeur de chimie pas gâté par la nature qui ayant absorbé son breuvage miracle, se mue en un bellâtre au charme irrésistible, mais aussi monstrueux que le Hyde traditionnel. Ce dédoublement inversé permet à Jerry de composer un Julius Kelp gentil et d'une grande droiture morale qui contraste avec Buddy Love, crooner gominé, prétentieux et d'une incroyable goujaterie, c'est lui le vrai monstre, sa laideur est morale.
En fait, c'est comme si Jerry avait voulu exorciser son propre é, car son "monstre" est une espèce de cocktail de Dean Martin, son ancien partenaire face à qui il était le faire-valoir par ses pitreries (16 films ensemble) et de Frank Sinatra. Devenu son propre producteur, son propre metteur en scène, et son propre auteur, Jerry se venge si on peut dire, en personnifiant un chanteur de charme inable et méprisable, tout en révélant au age que l'apparence physique n'est qu'un leurre. Quatrième film réalisé par Jerry, cette parodie lui donne l'occasion de réussir son film le plus parfait, tout en ridiculisant avec une certaine cruauté plusieurs institutions américaines comme les universités, le sport athlétique, les crooners, le sentimentalisme sirupeux ou la loi du plus fort...
Au sommet de sa forme, le réalisateur-producteur parsème son film d'une quantité de gags sonores et visuels (la montre de Kelp à la musique militaire bruyante, la salle de sport...), et se permet une séquence de transformation fantastique, digne des versions stevensoniennes antérieures ; on y sent une certaine amertume et la marque d'une oeuvre très personnelle. Le moment le plus intéressant reste surtout le long plan-séquence en caméra subjective qui accompagne le trajet de Buddy Love vers le night-club sous le regard médusé de tous les ants et témoins, suivi de l'extraordinaire contrechamp sur le visage inattendu du "monstre". Une comédie très intelligente.

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le 29 juil. 2017

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