La froideur plastique de Gone Girl répond à celle, mécanique, de l’intelligence de son protagoniste féminin, comme la mise en scène de Fincher qui déroule un programme parfaitement huilé. La symétrie est au cœur de la construction dialectique du film où les éléments se répondent et s’opposent : chaque membre du couple ; leur récit ; l’intérieur à l’extérieur ; la vérité à l’opinion ; la profondeur à la surface. Les coupures du montage au générique d’introduction reflètent celles du couple. La coupure surprenante en son milieu qui anéantit l’effet de surprise et rompt le suspense, de la même façon que dans Vertigo, dit assez que la question du film n’est pas tant de savoir si Nick a ou non tué sa femme que d’interroger les conséquences d’une rupture.
Au travers du récit d’un couple qui se déchire jusqu’au grotesque, Fincher met en scène un monde dans lequel la suspicion permanente menace toujours de transformer en preuves une convergence de faits douteux. La paranoïa a fait les beaux jours de nombre de films et de séries depuis quinze ans. Ici ce sont ses conséquences qu’interroge Fincher. Le retour de la femme perdue évoque, comme souvent dans le cinéma américain, le retour de Natalie Wood, ramenée par John Wayne à la fin de La Prisonnière du désert, qui scelle le mythe d’une Amérique réconciliée autour d’une population composite. Or, ici, la femme revient seule et la robe maritale qu’elle porte est souillée à l’excès, dénonçant les turpitudes qui président à la réconciliation.
L’inquiétude qui préoccupe Nick au début du film à propos de l’intérieur du cerveau de sa femme qui lui échappe, est l’obstacle indéable qui nous sépare de l’autre. Enjeu d’abord éthique, le cinéma et la littérature ont beaucoup étudié ses conséquence en termes d’incommunicabilité. En faire l’objet d’une méfiance nous projette depuis l’inconnaissable jusqu’à l’irréconciliable. La composante nécessaire de l’autre comme même s’estompe pour en faire advenir la seule étrangeté.
Ainsi dans ce contexte, seules les apparences peuvent encore espérer sauver quelque chose de la communauté. L’opposition dialectique se résout et le couple se réunit, autrement dit un contrat se renoue au prix de la vérité. C’est le triomphe des apparences que célèbre Gone Girl comme le pacte nouveau par lequel la communauté perdure.
Le rôle de la presse est alors fondamental. Elle devient le seul vecteur d’un mythe fait de sourires et de faux baisers. Et l’opinion triomphe qui pénètre jusqu’à l’extrémité de l’intimité. Tout doit s’étaler. La vérité ne se loge plus que dans les derniers retranchements d’une intériorité, qu’elle soit la camera obscura de la salle de bain, celle du vagin ou du cerveau. Une vérité de faits qu’il ne s’agit plus que de vérifier avec ce doute constant que quelque chose encore nous est dérobée.
Ce monde est celui qui a élu Trump. Frédéric Lordon avec une grande lucidité, intitulait un article des plus intelligents, paru récemment Politique post-vérité ou journalisme post-politique. Cette question hante Gone Girl où la vérité ne devient plus affaire que de fact checking et se confond avec une réalité sans dehors.