Avec Grave, Julia Ducournau signe une œuvre, d’une radicalité formelle et sensorielle. Ce qui s’y joue dée le cadre du genre pour convoquer la mythologie du corps féminin. Sous les oripeaux du body horror, c’est un cinéma de la mutation, de la transmission et du désir qui se déploie.
Dès les premiers plans, Grave inscrit le corps comme lieu d’énonciation. Non pas le corps orné, stylisé, mais le corps brut, poreux, transgressé. Justine, adolescente végétarienne tout juste arrivée dans une école vétérinaire, est confrontée à une violence rituelle qui fissure les vernis de l’innocence. Le bizutage (ingestion forcée de viande crue) fonctionne comme une morsure symbolique, point de départ d’une transformation irrémédiable. À partir de là, le film n’observe pas un basculement vers l’inhumain, mais une intensification du vivant, une montée en puissance des affects, des pulsions, des instincts.
Le choix du cadre vétérinaire n’est pas anecdotique. Il place les personnages dans un espace où l’humain se frotte au non-humain, où la biologie déstabilise la hiérarchie anthropocentrique.
Chez Justine, l’animalité n’est pas une régression. Elle est puissance, seuil, conquête. En refusant d’en faire un symptôme, Ducournau pose la monstruosité comme horizon d’émancipation. Il n’y a pas de faute originelle, pas de péché de chair : seulement une inaptitude de la norme à contenir ce qui déborde.
La relation entre Justine et sa sœur Alexia innerve le film d’une violence aussi intime que généalogique. Alexia, figure d’une liberté corrompue, d’une sauvagerie sans retour, incarne ce que Justine pourrait devenir, ou ce qu’elle refoule encore.
Ce que Grave met en jeu, ce n’est pas tant une violence graphique que la mise en crise d’un corps féminin normé, regardé, dressé. La monstruosité est ici un refus : un refus de la docilité, de l’hygiène narrative, de la transparence identitaire.
En d'autres mots, Justine n’échappe pas à son corps : elle en devient le sujet, non sans douleur. Ce processus n’a rien d’un épanouissement. C’est un arrachement. Un arrachement au père, à la sœur, à la norme. Ducournau filme ce age non comme un éveil solaire, mais comme une nuit rouge, opaque, marquée par le refus du confort psychologique.