Écrit avant tout pour les fans, ce que je suis depuis 2016, (que le néophyte soit prévenu, il n’est pas le public cible et n’y comprendra pas grand chose), Hurry up Tomorrow aurait pu être une déception s’il avait suscité en nous quelque attente. En quête d’une bonne surprise, on ne peut être que frappé par l’échec considérable que représente le film, alors même que l’album dont il est tiré est exceptionnel. Car les défauts sont légion.
SPOILERS
Résumé du film
Hurry up tomorrow, tiré de l’album éponyme, suit le chanteur The Weeknd (Abel Tesfaye) en pleine réflexion sur sa carrière alors qu’il vient de se faire quitter par sa dulcinée, que sa voix est en déclin, et qu’il noie sa tristesse dans l’alcool.
Poussé par son manager (interprété par Barry Keoghan), fidele ami qu’il a aidé quand il a quitté l’ecole et quand il était sans domicile fixe (toute ressemblance avec la vie d’Abel n’est ici pas fortuite), qui le convainc de faire son concert, The Weeknd perd sa voix et est contraint d’annuler sa prestation. Traumatisé et en colère contre son manager, il prend la fuite et tombe nez à nez sur l’une de ses fans, Ani, (Jenna Ortega), avec qui il era la soirée. Peu d’information sont données sur le personnage, en conflit avec sa mère alors qu’elle vient de mettre le feu à une maison. Après lui avoir fait écouter un extrait de sa dernière chanson, intitulée Hurry up Tomorrow, Ani lui révèle que son père est parti quand elle était enfant (tout ressemblance avec la vie d’Abel Tesfaye n’est ici pas étonnante, puisqu’il a grandi sans paternel).
Le lendemain, The Weeknd décide de quitter sa chambre d’hôtel, sans aucune considération pour Ani, à qui il avait fait la promesse de ne pas la quitter la veille. S’ensuit une dispute houleuse à l’issue de laquelle Ani prend une bouteille et assomme The Weeknd, qui se réveille alors, les membres attachés aux quatre pieds du lit.
Ani cherche à savoir qui est la femme à l’origine de la souf qu’il exprime dans ses chansons, tout en lui reprochant sa toxicité avec les femmes. Sur fond de Blinding Lights (tiré de l’album à succès - et injustement snobbé aux Grammys - After Hours) et de Gasoline (tiré de Dawn Fm), c’est une véritable torture psychologique à laquelle le chanteur est soumis.
Son manager ayant retrouvé sa trace, il décide de rentrer de force dans la chambre d’hôtel. Après un combat intense contre Ani, il finit égorgé.
En larmes, Ani verse de l’essence sur le chanteur et lui demande de répondre sincèrement à la question qu’elle avait initialement posée: qui est à l’origine de sa souf ? Et le chanteur ettant ne pas répondre, chante a cappella Hurry up tomorrow. Émue aux larmes, elle le détache et met le feu au lit, vide.
On retrouve alors le chanteur en train de se préparer pour son concert. Le visage face au miroir (le film se conclut sur l’image qui fut un temps présentée comme la pochette d’album de HUT), le chanteur semble enfin apaisé, avec, en fond, le rythme sublime de Without a Warning. Fin.
CRITIQUE
Si la bande originale est évidemment à saluer (elle sauve ce qu’elle peut du film), c’est à notre grand regret qu’elle ne suit aucune logique scenaristique. Les chansons ne sont là que pour habiller les images, belles au demeurant, mais vides de sens. On se demande par exemple pourquoi Cry for Me est le fond sonore d’une scène où Ani vole de l’essence ; ou open hearts lorsqu’elle conduit sur une autoroute insipide de Los Angeles. Les scènes de concert sont quant à elles très bien filmées et permettent de sublimer la musique autant qu’elle sublime les images.
En ce qui concerne le jeu d’acteur, c’est à se demander s’il y avait lors du tournage une personne en charge de diriger les comédiens, tant ils semblent tous en roues libres. Mention spéciale pour Barry Keoghan, qui normalement bon acteur, est dans le surjeu constant et en devient presque caricatural. Si l’on a rien noté de spécial s’agissant de Jenna Ortega, le bât blesse pour Abel Tesfaye dont la prestation n’est toujours pas à la hauteur - après des débuts catastrophiques dans la série The Idol, huée a Cannes. Si le chanteur parvient parfois à dégager quelques émotions avec sincérité (notamment la tristesse), il ne sait feindre ni la surprise ni l’effroi. On demeure par ailleurs assez circonspect quant à l’attitude des spectateurs, qui ont à plusieurs reprises rigolé alors que les scènes étaient empreintes d’une certaine gravité. Était ce dû à leur immaturité ou au jeu d’acteur d’Abel ? On serait tenté de répondre les deux.
L’écriture - si tant est qu’il y en eût une - est d’une faiblesse déconcertante. On ne se demandera pas comment Jenna Ortega, du haut de ses 1m55 et de ses 40kg, parvient à porter et attacher le chanteur sur un lit, lui qui fait 20cm et au moins 30kg de plus. On ne se demandera pas non plus pourquoi le manager, choisit de jeter le couteau par terre après avoir désarmé Ani, plutôt que de le garder, précipitant ainsi son destin funeste, et avec lui, celui du film.
Mais ce n’est pas seulement à raison des éléments précités que le film se révèle fragile, c’est à raison du message qu’il véhicule et de la façon dont il le fait.
On l’aura vite compris, l’absence d’informations sur Ani, son sexe, ainsi que son é, font d’elle un personnage auquel il est facile de s’identifier - à défaut de pouvoir s’y attacher. Elle est en effet à la fois l’incarnation d’un fan classique du chanteur, qui trouve dans son art le moyen de sortir de sa torpeur ; de l’autre elle incarne aussi l’une des innombrables conquêtes sans lendemain que le chanteur a eues tout au long de sa vie et à l’égard desquelles il a toujours eu les comportements toxiques décrits dans ses chansons. C’est donc un message pour les fans, mais aussi pour lui même, un exercice d’introspection sur son rapport aux femmes, et au chagrin qui en découle. Car Ani est aussi la version "jeune" de The Weeknd, en dualité avec celle, plus toxique, incarnée par son manager.
Message pour les fans en effet car ce film est supposé être autant le climax de la carrière d’Abel Tesfaye en tant que the Weeknd, que son testament. Ce qui était annoncé et devait être un adieu émouvant au personnage créé à l’aube de l’année 2010 dans un quartier défavorisé de Toronto termine en un au revoir qui nous a malheureusement laissé indifférent.
Hurry up Tomorrow est un film contemplatif sur le fond comme sur la forme. Les plans large sur les visages en larmes des personnages écument le film, si bien que le spectateur se retrouve noyé sous l’effet de ces glandes lacrymales. Il lui est toutefois facile de remonter à la surface, tant il faut avouer que la surenchère de moments qui se veulent émouvant tourne au ridicule.
Contemplatif aussi, parce que le film se permet de longs moments de silence, où seuls comptent les regards, tournés tantôt vers le vide, tantôt vers les yeux imbibés de larmes des personnages. Par exemple, après avoir aspergé le chanteur d’essence et qu’il a fini de chanter, la caméra reste figée sur le visage d’Ani, en larmes, immobile et mutique, pendant de longues secondes. Alors que the Weeknd vient de mourir en tant qu’entité artistique, la caméra appuie sur son visage pour que l’on puisse verser quelques larmes à notre tour. Peine perdue. La gêne fut notre première émotion.
Le doute nous assaille quant à la question de savoir si le chanteur brise le quatrième mur à la toute fin du film. Un second visionnage aurait pu nous aider, mais il va falloir s’en er.
Le film nous est paru extrêmement arrogant dans sa manière de véhiculer son message et ses idées, et surtout, très peu subtil. Le film se clôture en effet après que The Weeknd parcourt le long couloir de l’hôtel, face caméra, la porte de la chambre en feu s’éloignant petit à petit. Le é du chanteur est désormais derrière lui, mieux encore, il vient de partir en fumée. Table rase était ainsi faite de son histoire et de la subtilité. Les fans n’y verront peut être que du feu. D’ailleurs, l’enchaînement des événements et des lieux à la fin du film ouvre le champ possible des interprétations. Le chanteur a t’il réellement vécu cette torture dans la chambre d’hôtel ? Ou l’a t’il imaginée ? Cette question devait susciter la réflexion du spectateur après le visionnage. Mais le film n’en suscite pas l’envie.
Hurry up Tomorrow est en definitive un film qui nous a paru dénué d’intérêt. Il n’apporte pas spécialement de plus value par rapport à l’album, lequel était bien plus efficace pour transmettre les émotions et les messages qu’Abel Tesfaye voulait partager.
Ce film doit constituer le nouveau départ de la vie d’Abel Tesfaye, qui désire désormais se tourner vers le cinéma. L’écriture exclusivement dédiée aux fans condamne très certainement le film à un échec commercial. On comprend d’autant mieux pourquoi le film eût tant de mal à être racheté par un distributeur. Par conséquent, conjuguée avec l’échec cuisant que fut The Idol, l’expérience Hurry up Tomorrow n’annonce pas une carrière à succès pour le chanteur au grand écran. Lui qui avait commencé avec la mixtape légendaire House of Balloons, commence en tant qu’acteur avec deux gros handicaps aux pieds.
Abel Tesfaye a souhaité tuer The Weeknd car il estimait ne plus avoir rien à lui faire dire. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il le ramène à la vie, faute, hélas d’avoir quoique ce soit à raconter au cinéma.
L’auteur de ces lignes et néanmoins l’hypothèse selon laquelle il serait é tout à fait à côté du film. Après tout, il n’avait rien compris au film It comes at night, du meme réalisateur. C’est seul que nous rentrerons, écoutant dans le métro, celui qui demeurera toujours l’un des plus grands chanteurs de tous les temps et à qui on ne fera pas grief d’avoir voulu prendre des risques. Comme il l’écrivait si bien dans ce qui fut sa première chanson : « you don’t know what’s in store ; but you know what you here for ».
Hurry Up Tomorrow : ⭐️⭐️ ⭐️⭐️/10