Instinctivement, si on vous parle de grandes performances d'acteurs, un tas de références plus ou moins évidentes vous viennent spontanément en tête. Vous pensez à Kinski dans fist-fucker par une rivière glacée.
Alors que ce faisant, les amis, vous vous plantez dans les grandes largeurs. Quoi de plus simple que de parvenir à ces sommets paresseusement évoqués ? Jouer un conquistador fou perdu alors que l'on est soi-même taré, au cours d'une expédition sans repères, ou est l'exploit ? Interpréter un colonel maboule au milieu d'un tournage dément, quel mérite ? S'appuyer sur un texte magnifique et incarner un flic borderline, dans le décors lui-même déprimant du nord de l'Angleterre, pour accomplir une prouesse d'acteur ne serait-il pas naturel lorsque l'on est dirigé par Lumet ? Rater son interprétation d'un médecin humaniste quand Kurosawa est derrière la caméra ne serait-il pas un échec cuisant ?
Non, l'exploit est bien entendu ailleurs.
Prenez une production comme le dernier indépendance Day. Un grand nombre d'esprits persiffleurs évoque sans hésiter une meute d'acteurs cachetonnant sans vergogne. Certains prétendent même que le tournage a eu lieu au dessus d'un cimetière de comédiens indiens. Pourquoi pas. Mais à bien y regarder, tout le monde ne s'en sort pas de la même façon. Il y a les presque anonymes qui font ce qu'ils peuvent (madame la présidente, Umbutu, le général Adams), les semi-gloires qui voient là une possibilité de se rappeler au bon souvenir de directrices de casting un peu trop distantes (Pullman, Charlotte) et les jeunes pousses qui veulent se faire une place sous la chaleur des projecteurs. Compte-tenu des vicissitudes abracadabrantes du scénario (oh, rien que de l'habituel: timing vérolé, relations entre les personnages absurdes, punchlines imaginées par le chien de l'un des scénaristes, atteint de la chaude-pisse), (le chien, pas le scénariste), tout ce petit monde s'en sort plus ou moins honorablement.
Et puis y a quand même un type qui réalise un truc extraordinaire, monstrueux, d'autant plus sublime que peu se rendront compte du niveau de performance.
En pleine nuit, la luciole sur le tas de fumier. La jolie fleur déguisée en vache.
Imaginez-vous (parce que je ne vous demanderai jamais de subir ce métrage) que Jeff Goldblum parvient non seulement à rendre la quasi-intégralité de ses répliques vivantes, mais en plus il réussit -presque- à nous faire croire que les extra-terrestres existent, qu'ils ont une forme d'intelligence propre (forcément supérieure à celle des auteurs du scénario, donc) et qu'une menace pourrait peser sur l'humanité en fonction des décisions du personnage qu'il joue. C'est furtif, c'est imperceptible, mais Jeff a deux ou trois fois l’œil qui pétille, le sourire qui affleure en coin, les lunettes qui se dandinent. Le gars s'amuse et donne vie à un caractère mort-né, incarne ce qui est décharné, gonfle de parcelles d'envie des poumons morts, et fait battre sans technique un cœur artificiel souffrant d'une panne au déballage. Bref, un truc titanesque. Digne de figurer bien au dessus des machins fadasses évoqués en introduction de ce billet inutilement long.
Sinon, pour finir sur une dernière performance, je ne résiste pas à évoquer celle-ci: dans A la maison blanche, quand l'équipe du président s'écharpe pendant une (vraie) heure sur la rédaction du discours sur l'état de l'union alors que la première mouture nous semblait déjà d'une hauteur et d'une finesse irable, dans Independence Day Resusrgence, quand une pimbêche esseulée finit de lire sa mauvaise rédaction d'adolescente teubée, dégoulinante de bêtise doucereuse, la présidente au pas de course claque un "c'est parfait !" enthousiasmant.