Ce n’est sans doute pas la première chose qui vient à l’esprit lorsqu’on cite le nom de Paul Verhoeven, mais force est de constater que celui qui s’est fait connaitre par sa mise en scène crue de la violence et de la sexualité est également un ionné d’Histoire disposant d’une culture solide en la matière. J’en veux pour preuve ses deux films sur fond de seconde guerre mondiale (Total recall renvoient à des faits historiques bien connus…
Oui, j’ai utilisé l’expression de « film médiéval » pour qualifier La chair et le sang. Les historiens les plus tatillons – dont je fais partie – répondront que le Moyen-âge s’est achevé en 1492 et que le film se e en 1501. Pourtant cette expression s’avère adéquate pour plusieurs raisons.
Rutger Hauer incarne ici le chef d’une bande de mercenaire trahi par leur commanditaire. Lui et ses compagnons arborent des uniformes médiévaux, l’armure de cuir matelassé des soldats peu fortuné, des casques rudimentaires, épées et lances. On est bien dans un imaginaire qui se rapporte au Moyen-âge. D’ailleurs le mercenariat est une pratique que l’on peut rattaché au Moyen-âge. Au cours du 16e siècle les mercenaires, soldats peu fiable et sans loi, seront peu à peu remplacé par des soldats professionnel et bien encadré. En ce sens le personnage de Rutger Hauer peut être vu comme le dernier représentant d’une ère moribonde, et ce à bien des aspects.
Après avoir été trahi ces mercenaires se retrouvent sans maitre, en proie au doute et au désespoir. La découverte d’une statue de Saint-Martin, (également le nom du personnage de Rutger Hauer), évènement interprété comme un signe divin, va apporter un but à ces soldats orphelins. La petite bande obéissant désormais aveuglement aux décisions de l’icône, ou ce qui est supposé comme tel. Par-dessus tout c’est cette foi aveugle qui est le symbole du Moyen-âge et de son obscurantisme.
Une foi aveugle que Martin saura mettre à son profit, aidé par son saint homonyme et ses exploits guerriers, il est rapidement érigé par ses compagnons au rang de prophète. Certains iraient presque jusqu’à lui attribuer certains pouvoirs, ce que Martin ne nie pas, au contraire il semble lui-même y croire. Cette frontière assez flou entre réalité physique et croyance irrationnelle se brouille progressivement jusqu’à cette splendide image de Rutger Hauer opportunément couronné d’une auréole de feu. Une image à la fois belle et terrible dont la force évocatrice pourrait faire douter les plus sceptiques.
L’antagoniste de Martin est un jeune érudit agnostique nommé Steven dont la promise a été raflée. Steven symbolise l’ère de la Renaissance encore en gestation, mais qui sera l’époque de la connaissance et de la preuve scientifique. Peu impressionné par la stature mystique de Martin il lui livre une lutte à mort. Mais pas comme un amant s’opposant à un rival. Contrairement à beaucoup de films historiques dans lesquels l’histoire n’est que le prétexte pour raconter une romance (coucou Abel Gance et Sacha Guitry) ici la romance n’est que le prétexte pour mettre en scène une opposition bien plus profonde. Car c’est avec la détermination du savant combattant la superstition que Steven mènera son combat.
Tout le propos du film tient dans cette opposition, révélant ainsi pourquoi malgré le fait que l’histoire se situe en 1501 l’atmosphère est profondément médiévale. La transition entre le Moyen-âge et la Renaissance – ou entre n’importe quelle période – n’est pas quelque chose qui va de soi. Elle est le résultat d’une lutte perpétuelle, et pas seulement mené par les grands penseurs, scientifiques ou artistes dont l’Histoire retiendra le nom. C’est un combat qui concerne aussi les esprits plus modeste comme Steven qui à son échelle contribue à faire avancer le monde. Et par conséquent n’est-ce pas le héros du film ?