Je connais l'oeuvre de Poe, mais je ne connais pas du tout les films de Corman.
J'avoue que je partais avec un a priori négatif. D'abord, je n'imaginais pas que Poe puisse être adapté. Ensuite, les photos tirées du film me faisaient craindre un univers ultra kitsch, cheap et de mauvais goût.
Mes craintes se sont révélées vite fondées en ce qui concerne Poe. Ce château aux couleurs clinquantes, ce Roderick Usher péroxydé, cette petite Madeline brune et potelée, ces éclairages crus n'ont rien en commun avec l'univers de Poe.
Pour apprécier ce film, il m'a fallu faire le deuil des images gothiques lugubres en noir et blanc que je m'étais fabriquées à la lecture de la nouvelle.
J'ai trouvé la première partie du film longue, bavarde et ennuyeuse. Mon intérêt s'est éveillé dans la deuxième partie, plus précisément à la vue de l'hallucinante galerie de tableaux des ancêtres de Usher. Les tableaux sont magnifiques et totalement malades. Ils amorcent la plongée du film dans une autre dimension plus déviante et séduisante.
L'intrigue de la nouvelle et les personnages sont malmenés au possible, avec un twist final inexistant chez Poe :
Madeline se révèle totalement maléfique et son frère l'a enfermée vivante pour mettre fin au Mal héréditaire dans la famille Usher.
J'ai été totalement séduite par l'esthétique de cauchemar coloré de la dernière partie du film. Les couleurs vives trouvent leur justification. Leur utilisation n'a pas qu'un but simplement esthétique; elle a pour effet de provoquer un dérèglement des sens, une sensation de nausée et de folie ambiante. J'aime bien l'idée déviante de Corman d'associer de somptueuses couleurs saturées au Mal et à la maladie mentale de cette famille de tarés.
Grâce à cette perversion esthétique, ce film détraqué réussit à racheter son manque de fidélité à Poe et à ne pas lui faire honte.
J'oubliais : le film est effectivement kitsch, mais c'est du kitsch qui n'a rien de cheap et qui fait bien plaisir aux yeux.