"La beauté consiste à chasser le superflu" écrivait Michel-Ange.
Krystof Kieslowski met en pratique ce précepte, rendant à son cinéma sa qualité d'art, soit de seule vie pleinement vécue car enfin découverte et éclaircie, débarrassée du superflu.
La double vie de Véronique explore les limites de la raison, choisissant de faire vivre plutôt que de faire comprendre ou de faire réfléchir.
Le film est riche en qualités et il convient de les aborder.
Des qualités techniques indéniables qui mettent en valeur le mystique de l'histoire :
- La photographie jaunâtre accentue l'aspect irréel du film et l'embellit, créant un effet de mystère, de souvenir sépia.
- Une bande originale en accord avec le récit, qui intervient toujours au bon moment et qui épouse parfaitement les images.
- Des cadrages et plans atypiques qui jouent sur les effets clairs/sombres, vraies oeuvres picturales, délices visuels qui accentuent les formes des corps et visages des personnages, jouent avec leurs expressions faciales.
- Une lenteur du film (qui ne nous ennuie pas) propice à l'appréciation de cette mise en scène sublime.
- Irène Jacob est brillante dans le rôle, véritable magicienne qui ensorcelle les spectateurs, et Phillipe Volter, mystérieux, suscite la curiosité dès la scène des marionnettes.
- La caméra bouge assez peu, mais quand elle le fait, c'est très beau et original : utilisation de la caméra subjective, travellings dans des couloirs (style Kubrick/Tarkovsky).
- Et tout un tas de symboliques qui magnifient à la fois l'image et le récit :
Tendance à filmer à travers des vitres, à montrer les doigts, notamment.
Deux scènes sont absolument géniales et font sûrement partie de mes scènes de film préférées :
- La scène du concert de Weronika : Ce ton verdâtre et noir, la pression qui monte, les personnes présentes actent bizarrement, la musique est magnifique, et cette chute tragique ! Grande scène qui a sûrement inspiré Lynch.
- La scène du spectacle de marionnettes : Très belle alternance entre le visage de Véronique et les marionnettes d'abord (spectacle touchant de grâce), puis entre Véronique subjuguée et Philippe Volter, le marionnettiste que l'on aperçoit dans le reflet d'un miroir.
Du côté du récit, il faut souligner que Kieslowski n'explique pas tout et laisse le spectateur libre de comprendre ou non les choix et réactions de l’héroïne.
Cette histoire de parallèle entre deux vies, c'est très mystique. Et le film renvoie ce mysticisme à travers chaque plan. Tout semble irréel, comme dans un rêve, dans un vieux souvenir déformé par le temps.
Les personnages agissent comme guidés par des forces supérieures qui les déent, maladifs, hésitants, troublés en permanence. Tels des marionnettes...Et cette sublime mise en abîme finale autour des marionnettes.
Dans ce film, rien n'est laissé au hasard, mais rien ne semble prédestiné non plus. Tout est parfait, cependant. La vie est débarrassée de tout ce qui est superflu, de la photo retrouvée par Philippe Volter qui représente le Moi qui n'est pas Moi aux marionnettes de ce même Philippe qui réparent les Véronique, tout semble complet, parfait au plus haut point.
Ce film semble être un rêve que l'on a déjà fait, le souvenir d'un moment que l'on a déjà vécu, il est universel. C'est ce qui le rend si mystique. Sa capacité à toucher sans concepts, sans idées, juste à travers les situations, les images, les musiques, les visages.
"Il arrive souvent dans les rêves, et tout particulièrement dans les cauchemars, comme ceux par exemple qui peuvent être provoqués par un dérangement d'estomac ou par quelque autre cause, que l'être humain voie se dérouler des scènes extrêmement artistiques, de véritables tranches de vie d'une vérité profonde et complexe, des évènements et même un enchainement d'évènements reliés par une idée directrice et remplis de détails inattendus, allant des manifestations les plus hautes de l'existence humaine, comme vous dites, jusqu'aux bagatelles insignifiantes, telles qu'un bouton de manchette." Les frères Karamazov, Dostoievski