Film vu dans le cadre du festival "Hallucinations Collectives".
Film de la sélection "Cabinet de curiosités".
Lorsque j'ai commencé à cultiver une cinéphilie un peu plus construite que celle qui a longtemps été la mienne, et où je commençais à m'intéresser à des cinémas autres que le succès populaire du moment ou le nouvel épisode de cette saga sur une secte religieuse de l'espace qui pousse ses adeptes à se dresser contre un empire fasciste en pratiquant l'inclusion spéciste, a rapidement été porté à ma connaissance un film dont les éminent membres des cercles cinéphiles où désormais je puisais mes recommandations parlaient comme d'une légende. Ce film c'est "La Forteresse noire" .
Mais d'où vient cette réputation ? Quand Michael Mann le réalise il n'est pas encore l'immense cinéaste qu'il est devenu depuis, il n'a à son actif qu'un long métrage, Le Solitaire et quelques téléfilms ou films publicitaires. Les studios et les producteurs sont alors bien plus intervenants sur la phase de production. Mann a présenté un premier montage du film d'une durée supérieure à trois heures, une longueur qui a provoqué des AVC aux exécutifs à qui il avait été projeté et ils ont demandé au jeune réalisateur de remonter l'ensemble. Une injonction à laquelle s'est pliée Michael Mann, mais son second montage n'était toujours pas du goût des huiles au sommet de la hiérarchie de production. Ils ont donc écarté Mann du montage pour le confier à quelqu'un d'autre et ont sorti en salle un film qui durait désormais une heure et demi.
Or l'histoire du cinéma est jalonnée de films dont les versions ciné, diffèrent de ce qu'on appelle les "director's cut" ce n'est pas pour autant que ces films en deviennent légendaire. Quelle particularité revêt alors "La Forteresse noire" ? Pourquoi ce film est-il devenu aujourd'hui un graal dont il est raisonnable de considérer la quête comme aujourd'hui utopique ? Et bien la version voulue par Mann n'existe plus, elle a été perdue, personne ne sait ce qu'on pu devenir les pellicules.
Comme la fameuse loi des séries semble encore une fois être une réalité, un autre problème majeur interviendra au moment de la post-production. Le décès prématuré du responsable des effets spéciaux, deux semaines à peine après la fin du tournage. N'ayant laissé aucune indications quant à ce qu'il prévoyait d'utiliser comme effets et techniques pour le rendu final qui sera présenté en salles, l'équipe technique restante tentera faute d'un budget restant important de pallier au mieux les manques et de coordonner le matériel tourné, la photographie du plateau et les autres parties d'un film qui commence à sentir la malédiction.
La version cinéma, qui a alors été présentée et qui ressort aujourd'hui en salle (dans des séances événementielles qu'il ne faut pas rater si l'une a lieu près de chez vous) et en format physique grâce à Carlotta Films et qui bénéficie d'une restauration bienvenue est la seule que vous pourrez voir.
Mais au final, c'est quoi et c'est comment "La Forteresse noire" ? C'est un film fantastique horrifique dans lequel un détachement de militaires allemands au moment de la seconde guerre mondiale se réfugie dans un forteresse sise dans un village reculé de Roumanie. Les militaires constatent que la conception de cette forteresse a été pensée non pas pour empêcher d'éventuels ennemis ou envahisseurs d'y pénétrer mais plutôt pour interdire quelqu'un ou quelque chose d'en sortir. A cette inquiétante et inexpliquée singularité viennent s'ajouter les contes et légendes locales qui parlent d'une entité démoniaque qu'il ne faut pas réveiller. On se doute bien que la consigne volera en éclats et que le monstre surgira. La suite, les finalités et le reste du film il vous appartient de le découvrir.
Ce qu'il faut en revanche avoir bien à l'esprit quand vous irez le voir, c'est qu'on est devant un film auquel il manque des bouts. Le charcutage à la serpe opéré par le studio a amputé le film de parties immenses. On n'a pas juste des ellipses, on a des trous béants, qui déent le stade qui ouvre au spectateur la possibilité de combler par lui-même les parts manquantes pour in fine se faire son interprétation, on a des incohérences délirantes dans la narration.
L'absence de la tête pensante prévue à l'origine pour gérer les effets et l'esthétique du film se constate à chaque plan, là aussi on constate un manque de coordination et en même temps ...
En même temps le film est ionnant. ionnant parce que la direction artistique laisse deviner ce qu'aurait pu être le film s'il n'avait pas été victime du chaos de sa production, le design de la créature que l'on doit à Enki Bilal emprunte tout autant au style du dessinateur qu'aux inspirations du Golem. Les décors sont impressionnants, les costumes irables, le casting est de premier ordre et le postulat de départ conserve malgré les nombreux soucis évoqués son pouvoir de fascination. Des nazis se font mettre les organes à l'extérieur !
Ce n'est pas un film raté, c'est un grand film malade. Il faut bien avoir cela en tête quand vous le découvrirez, sa réception ne sera pas la même.