Il est des films qu'il ne vaut mieux pas voir.
Des œuvres dangereuses.
Parce qu'après les avoir vues, tu ne pourras plus jamais prétendre être tout à fait le même, sans er pour un menteur de catégorie poids (extra-)lourd ou pour un parfait imbécile doublé d'un insensible de la pire espèce: hermétique à la beauté et à la simplicité.
Jeune homme (ou moins jeune, d'ailleurs) toi qui te repaies du dernier bollockbuster* de la semaine en y trouvant une somme inimaginable de qualités souterraines pour mieux pouvoir occulter ses défauts aveuglants, ne regarde jamais, tu m'entends ? JAMAIS ! La foule de Vidor.
Loin de moi l'envie de comparer, opposer deux cinémas qui n'ont rien à se dire, mais néanmoins.
Mettre les doigts (et les yeux, surtout) dans quelque chose d'aussi définitif et précurseur que "La foule", c'est s'obliger à étalonner les plaisirs, mettre en perspective les expériences.
Même si tu le voulais pas, tu ne peux plus regarder les choses de la même façon. Par exemple, moi, je veux bien que des éclaireurs, que je connais, puissent mettre 8 ou 9 à Pacific Rim, OK.
Mais à condition de pouvoir 99 ou 100 à La foule.
Tu vois ce que je veux dire ? Ça oblige à étalonner.
Et donc, fatalement, tu sombres un peu plus dans le côté obscur du vieux con.
Non seulement plus rien ne sera vraiment pareil mais en plus tout le reste gagne un degré dans le côté fade alors même que que tu ne voudrais pas, si t'avais le choix. Non, toi, tu voudrais garder les quelques centaines ou milliers de films que t'as déjà vu tout pareil, dans ton souvenir. Y a pas de raison !
Et de quel droit un film de muet de 1928 pourrait tout bouleverser comme ça, d'abord?
Bref. Tu feras bien comme tu veux, mais je t'aurais prévenu. Ce métrage est d'une dangerosité implacable.
Tu le sens pas venir, ça monte peu à peu pendant 1h40, moment que tu pensais meubler comme si t'avais décidé d'aller faire un tour à la piscine ou écouter un bon disque. Un moment agréable.
Alors que, sans le savoir, t'as mis tes pieds en tong dans l'essentiel.
Les minutes se succèdent. Tu sens que les sentiments, trop forts, s'empilent d'une manière anormale dans ton petit cœur qui croyait avoir connu ce qui devait se connaitre et qui, du coup, pauvre petit maltraité, te fait sentir que ça ne ne se e pas comme d'habitude.
Il a ses habitudes, ce cœur. On peut pas trop lui en vouloir.
Et puis y a cette seconde extraordinaire. Quand arrive la dernière image.
Soudain, t'as peur que ça finisse un peu facile, gentil, et tu redoutes que ça ternisse un tant soit peu le raz-de-marée qui était parti pour te submerger. Alors, mon con, pendant une fraction d'éternité, tu te sens capable de l'endiguer, la vague, trop content du répit inattendu ! Une espèce de jubilation débile te saisit, quand tu te dis que, ha ha, un truc aussi monumental de bout en bout ç'aurait été trop beau, ça se saurait ! … tout en réprimant une immense pointe de déception.
Et puis non. Bien sûr.
Non seulement c'est génial jusqu'au bout, mais en plus le dernier plan remet tout en place dans la gueule (le titre, le sens, le film, la vie) comme une ultime claque que tu ne pensais plus pouvoir encaisser.
Alors, évidemment, une fois fini, ça ne fait que commencer.
Ça enfle, ça grandit. Tu peux plus penser à autre chose.
La foule, d'émotions.
Il ne me reste plus qu'à insulter mes éclaireurs, qui savaient et ne m'avaient pas prévenu.
Moi, je préfère te prévenir, pour que tu commettes pas la même erreur.
Un venin, je te dis. Le pire de tous. Incurable. A vie.