Film fascinant sur une question que je me suis souvent posée: quelle est la capacité d’un prolétaire à agir en tant qu’individu face aux déterminismes sociaux?Le film nous présente une famille de pêcheurs siciliens, la famille Valastro. Italie, 1ère partie du XXe siècle, répartition hétéronormée classique des tâches: les hommes vont travailler pour subvenir aux besoins de la famille, les filles et les femmes s’occupent de la cuisine et du ménage. Le travail est difficile, se déroule pendant toute la nuit et occasionne fatigue intense, problèmes de dos. Les pêcheurs doivent apporter les anchois capturés dans leurs filets aux grossistes qui récupèrent une grande partie des profits. Les pêcheurs se retrouvent ainsi avec à peine de quoi nourrir leur famille.L’ainé de la famille Valastro, Toni (Antonio Arcidiacono) se rend compte de l’absurdité de la situation: les grossistes se permettent de telles marges parce qu’ils sont en charge de la revente des anchois aux clients. Si les pêcheurs pouvaient vendre les anchois directement aux clients, pourquoi composer avec les grossistes?Le film va alors présenter la lutte de Toni, aidé par sa famille, face aux grossistes. Il va tenter de vendre ses poissons lui-même. Il doit investir pour lancer son entreprise et décide ainsi d’hypothéquer la maison avec l’accord de sa famille. S’ensuit alors une série de malheurs/hasards tragiques/conséquences dues aux déterminismes sociaux.Il y a vraiment de très belles scènes dans ce film, l’entraide qu’on voit dans la première partie du film entre les travailleurs dépeint un début de communisme et une belle solidarité. L’utilisation de la voix off accompagne le film de belle manière et accentue le réalisme afin de s’inscrire dans le genre « docufiction ».Il se dégage une vraie poésie de ce film, la scène par exemple entre Toni et Cola (Giuseppe Arcidiacono, issus de la même famille IRL donc, choix très intéressant que les acteurs soient des vrais pêcheurs et des villageois) lorsque Cola parle de sa volonté de quitter le village d’Aci Trezza, est magnifique et Toni conclut la discussion ainsi: “Dans le monde entier l'eau est salée. Quand nous ons les Faraglioni, le courant nous emporte. C'est ici que nous devons lutter”Le personnage du policier est intéressant également. Don Salvatore (Rosario Galvagno) est une espèce de benêt, qui e son temps à flaner (le seul qui ne travaille pas dans le village en gros) et aller draguer la jeune fille Valastro (Lucia, interprétée par Agnese Giammona) qui semble mineure, ce qui rend ces scènes glauques à l’heure actuelles (et sûrement un peu bizarres à l’époque du film d’après ce que j’ai compris des enjeux de ces scènes).Je pense que ce film, même s’il s’inscrit dans un contexte de commande du parti communiste italien, est vraiment précurseur en termes de réflexion sur le socialisme et les conditions de vie des travailleurs. Lino Micciche, critique de cinéma italien nous rappelle l’importance politique de ce film: c’est « l'unique film italien d'après-guerre qui ne recherche pas la conciliation, ne se fait pas d'illusion sur la victoire, ne console pas avec de fausses certitudes […], n'offre pas d'anges libérateurs, de solidarités fictives, de pitiés émues, de refuges sentimentaux. Mais qui, peignant une lutte, s'enferme dans la lutte, et avec amertume mais “réalisme”, dans la solitude de celui qui lutte. » Cependant, le film montre également que lorsque des travailleurs s’unissent, ils peuvent peser dans le rapport de force et que sans eux, leurs supérieurs ne peuvent rien faire.L’internationale sera le genre humain!