En 1980, le Chaînon manquant représentait la Belgique au Festival de Cannes, ça a pu surprendre à l'époque car Picha était connu pour être un trublion dans l'industrie du dessin animé. Pourtant, la chose n'était pas exceptionnelle car même s'il a rarement été récompensé, le dessin animé fut présent dès les premières éditions cannoises, en particulier avec Walt Disney bien sûr, mais pas que, on se souvient de la Création du monde de Jean Effel en 1956, de la Flûte magique de Paul Grimault en 1946, ou de la Planète sauvage de Laloux et Topor en 1973...
Picha est surtout connu pour la Honte de la jungle en 1974, lubrique parodie de Tarzan avec laquelle Picha a eu bien des ennuis avec les ayant-droits d'Edgar Rice Burroughs, on peut décrire son style comme étant celui d'un Walt Disney belge croisé avec Hara-Kiri et Charlie-Hebdo, qui s'ingénie à faire des pieds de nez aux dessins animés traditionnels.
Avec ce film plus sérieux que la Honte de la jungle, même s'il y mêle des ages grivois et des allusions sexuelles, Picha remonte à la Préhistoire et s'attaque aux débuts de l'humanité revus et corrigés à sa façon, à une époque où les hommes n'étaient pas tout à fait des hommes et où les animaux étaient bien plus que des animaux. S'attachant à retrouver les origines librement inspirées des théories de Darwin (le chaînon manquant étant l'étape intermédiaire entre l'homme et l'animal), Picha redécouvre la Création et réinvente l'évolution, même si c'est pas gagné à travers cette tribu de dégénérés qui a enfanté Oh, le héros de cette relecture darwinienne, censé être un homme é à un stade plus avancé. En réalité, il sera à l'origine d'un immense merdier préhistorique qui se terminera par la première guerre de l'humanité, après avoir rencontré des phénomènes bizarres et des êtres étranges qui laisseront pensifs les scientifiques, car cette odyssée est chaotique à travers une véritable galerie des horreurs qui provoque le rire grâce à de nombreux clins d'oeil tantôt subtils, tantôt plus salaces, mais qui constituent une relecture décapante et corrosive.
Le budget du film, rarement atteint en 1980, s'éleva à 13 millions de francs, son lancement avec 80 copies pour la sortie en , 50 en Allemagne et 15 en Belgique fut également l'un des plus importants pour un dessin animé de long métrage en Europe ; la réalisation effectuée dans la région parisienne dura 3 ans et fut tourné d'abord dans sa version anglaise (pour l'exportation) puis post-synchronisée en français avec un casting vocal adéquat où l'on trouve Richard Darbois, Georges Aminel, Philippe Nicaud, William Sabatier et Roger Carel entre autres... Voila donc un dessin animé pas sérieux mais pas pour les enfants, soutenu par un dessin simple, efficace et qui va droit au but avec un humour ravageur.