Jaws est non seulement un très grand film ( à 9 ans, pas encore marqué par les a priori, je rêvai d’aller le voir mais l’interdiction aux moins de 13 ans veillait) mais sans doute un des films de cette période qui a le plus parfaitement vieilli. L’habileté de la narration, la sinistre beauté des scènes d’agression sous-marine , la maîtrise dans la composition des plans, tout cela laisse franchement iratif.
C’est aussi et cela compte dans l’estime que je porte à Jaws un film qui prend son temps ( les mâchoires du « grand blanc » n’apparaissent vraiment qu’au bout d’une heure de film ), qui ne dilapide pas toutes ses munitions d’emblée (on est loin du premier quart d’heure calamiteux d’Harry Potter and the goblet of fire et sa débauche vulgaire d’effets spéciaux ), qui surtout sait distiller l’angoisse. On a beaucoup reproché au film l’aspect mécanique du requin mais on peut aussi envisager l’hypothèse que l’ingéniosité des scènes d’attaque doit peut-être beaucoup au fait que Spielberg ait du se contenter d’une maquette animée (l’utilisation de la caméra objective dans la première scène d’assaut sur la nageuse esseulée par exemple). Un peu à la manière d’ Hitchcock disposant un peu partout des symboles phalliques pour faire oublier qu’il ne pouvait filmer des scènes sexuellement explicites. Eut-il disposé d’effets numériques, Jaws aurait-il été à ce point fascinant ? On peut en douter.
Tout comme Moby Dick n’était pas qu’une baleine, le « Grand blanc » n’est pas qu’un requin. C’est aussi un formidable révélateur de toutes les faiblesses humaines ( le maire ( excellent Murray Hamilton) à la veste aussi corrompue que ses arrêtés personnifiant l’impéritie des autorités locales) comme des qualités d’endurance et de ruse. Chacun des trois membres de l’expédition de l’Orca a un compte à régler avec l’existence: Brody ( Roy Scheider) doit vaincre sa peur panique de l’eau, Hooper ( Richard Dreyfuss) doit montrer qu’il vaut mieux que sa réputation de prep kid fils à papa et Quint (Robert Shaw) doit, lui, venger les camarades dévorés par des squales impitoyables lors du naufrage de l’Indianapolis.
Je suis moins enthousiaste que certains (David Thomson en tête) sur Robert Shaw (il confond un peu trop à mon goût son atelier de pêcheur avec les planches de Broadway) mais je concède que son récit du naufrage de l’Indianapolis a une sacré gueule (et pas que de bois). Pour l’anecdote, on peut rappeler que Shaw n’hésitait pas à prolonger son rôle bien après que Steven a hurlé : « coupé » et pas seulement en ce qui concerne la bibine. En dehors du tournage, Dreyfuss est vite devenu son souffre-douleur. Shaw n’arrêtait pas de le défier ( « t’es même pas cap de monter en haut du mât »), de l’arroser au jet d’eau si bien qu’à la fin Dreyfus, excédé lui a carrément dit d’aller se faire foutre. Celui qui semble toutefois avoir le plus à dire ici pourrait bien être Roy Scheider. Sous un masque imible, Sheider compose un adjudant fébrile et torturé que sa peur panique de l’eau rend particulièrement vulnérable (il faut rappeler qu’il officie dans une station balnéaire insulaire). Incapable dans un premier temps d’imposer son autorité à la petite communauté d’Amity, Brody sera seul à subir physiquement le courroux des citoyens terrorisés ( il est giflé par la mère d’un bambin déchiqueté). Lorsqu’il s’agira d’en finir définitivement avec la bête, Brody ne devra à nouveau compter que sur lui même.