Dans mon exploration du giallo, j'ai fini par revoir le premier que j'aie jamais vu, le plus célèbre de tous, j'ai nommé Profondo rosso de Dario Argento. Un film que j'ai dû voir il y a une dizaine d'années déjà et dont je ne me souvenais plus de grand-chose, si ce n'est Macha Méril en voyante, le dessin sur le mur et la musique de Goblin. Revoir ce film aujourd'hui après une bonne douzaine de gialli plus ou moins heureux rend justice à l'œuvre, qui est indéniablement le pinacle du genre, sa Joconde. Et pourtant c'est un giallo extrêmement bizarre, particulièrement long, qui fraie avec le paranormal et qui est totalement dépourvu d'érotisme. Et surtout c'est un film à la mise en scène extraordinaire, et le mot n'est pas galvaudé ici. On peut comparer Argento à Hitchcock, et certes il y a de ça, forcément, mais pour moi c'est plutôt le successeur d'Antonioni, c'est l'Antonioni du cinéma bis - et je ne dis pas ça parce qu'il y a David Hemmings (acteur qui aura eu la chance de tourner dans deux chefs-d'œuvre, ce qui n'est pas mal). Si Fulci (l'autre maître du giallo) est un cinéaste organique, bordélique, qui ose tout en matière de mise en scène, l'art d'Argento confine à l'abstraction. Ses plans d'ensemble sont vides, ses travellings nets, ses cadres rigoureux. Profondo rosso n'est assurément pas un film parfait, son humour et ses dialogues ne sont pas du meilleur goût, mais il faut le voir comme un film muet. Et si l'on oublie qu'il n'est qu'un avatar d'un genre mineur, l'on constatera qu'il s'agit de l'un de plus beaux objets que le cinéma ait pu nous offrir. Argento ne prend même pas la peine d'essayer de faire peur, la seule émotion qu'il cherche est esthétique. À l'image des duels chez Leone, chaque mise à mort est une apothéose, un morceau de bravoure, un poème.
Pour finir, je citerai le plan que je préfère du film : celui où, tandis que sa victime apeurée s'avance vers la caméra, l'ombre du tueur, de son trench et de son fedora, apparaît derrière elle par la droite du cadre...