Présentation rapide du contexte autour du film : https://www.instagram.com/p/DAd30A_srnF/
Difficile d'appréhender une œuvre aussi forte, portée par un propos politique et social d'une telle radicalité. Dès son ouverture, et pendant toute sa première heure, Rasoulof s'évertue à ancrer profondément sa narration dans le système iranien actuel. Tout d'abord en y incorporant des faits réels, et notamment un drame qui a marqué l'histoire récente du pays. Le 16 septembre 2022, la jeune étudiante Mahsa Amini fut arrêtée pour un voile soi-disant mal ajusté, avant d'être finalement battue à mort. Un véritable assassinat, qui a déclenché des manifestations violemment réprimées sur tout le territoire.
Et pour Rasoulof, l'heure n'est plus aux simples allusions : le réalisateur cite frontalement ce triste évènement, en intégrant au long-métrage les images réelles de ces exactions.
De manière plus générale, Rasoulof va régulièrement insérer de véritables vidéos amateurs, exposant toute l'horreur de la politique répressive menée par le pays. Des violences et des images à la limite du soutenable, exposées plein cadre au spectateur.
Une première partie ionnante donc, témoignant d'une réalité cruellement vérace. Mais surtout, d'un geste politique sidérant de bravoure. Le cinéaste rend notamment un hommage bouleversant au mouvement « Femme, vie, liberté », qui s’est très largement démocratisé dans l’ensemble du pays suite à la mort d’Amini. Faisant ainsi face à l’explosion des violences menées à l’égard de femmes refusant de porter le voile.
Impossible de ne pas mentionner alors l’écriture brillante des dialogues, mais surtout les différentes interprétations, absolument parfaites. Chaque partition est livrée avec une justesse époustouflante, qui juxtaposée avec les véritables images amateurs, parviennent à inoculer un très fort noyau émotionnel à l'œuvre.
Mais soudain, le film change radicalement de ton, et bascule dans un registre d'enquête, suite à la disparition de l'arme du père. Rasoulof utilise cet élément perturbateur de manière vraiment maline, puisqu'il va permettre de transposer la cruauté du régime totalitaire au sein même du foyer familial. Et là où la narration brille tout particulièrement, c'est qu'elle nous plonge auprès de certains personnages partisans du régime. Ce qui n'est pas sans rappeler un autre petit morceau également sorti en 2024, à savoir La Zone d'Intérêt.
Le père est un juge d'instruction au service du régime, faisant face aux injustices mais les acceptant petit à petit, au point de se transformer en bourreau malgré lui. À l'inverse, les deux filles représentent cette jeunesse connectée, plus sensibles à ce qu'il se e dans le monde, et aux rêves de liberté possibles (notamment par les réseaux sociaux, remarquablement intégrés au long-métrage).
Enfin, entre ces deux extrêmes, se place la mère. Une personne qui a grandi dans ce système, confortée par les discours orientés des médias, et qui est ainsi complètement convaincue de son bien-fondé. Elle constitue un énième rouage, participant à cette bien triste machination, sans même s'en rendre compte. Pour autant, elle conscientise progressivement les abus du régime (que subissent notamment les femmes), et comprend donc petit à petit la pertinence des causes militantes.
Ce changement brutal de narration, ant d'un récit-monde prenant le pouls d'un pays déchiré, à une fiction profondément intimiste, en dérangera plus d'un. Et même si les thématiques brassées sont ionnantes (notamment la question de l'absurdité complète des interrogatoires), ce deuxième tiers constitue selon moi la partie la plus faible du film. Les situations deviennent rapidement répétitives, et on perd un peu de vue la force du propos installé dans la première partie. En plus de créer un léger ventre mou.
Heureusement, le film redevient totalement captivant dans son dernier tiers, transformant le récit en pur thriller paranoïaque, d'une tension incroyable. Le réalisateur redouble d'idées et de concepts de narration géniaux, jusqu'à un climax en apothéose, dépeignant une traque d'une inventivité géniale.
La transition est alors toute trouvée avec la réalisation du cinéaste, qui relève tout bonnement du miracle. Malgré un tournage cauchemardesque, dans l'urgence et la clandestinité, Rasoulof parvient en effet à livrer un film respirant le cinéma et la mise en scène. Certes, la très grande majorité du long-métrage est tournée en intérieur (pas étonnant au vu du statut du bonhomme), mais tous les plans sont constamment inventifs, que ce soit par la composition des cadres ou l'éclairage.
Et c'est quand même dingue de rendre aussi beau des intérieurs foncièrement moches. De même pour certaines scènes d'action en extérieur, comme la course poursuite en voiture, vraiment cheap sur le papier, et pourtant captivante dans le flot du long-métrage.
Quoiqu'inutilement épandu sur 3 heures, avec un léger ventre mou en son milieu, Les Graines du Figuier Sauvage reste indéniablement l'un des gestes de cinéma les plus marquants de ces dernières années. Rasoulof signe ici un projet aussi fou que téméraire, transformant un tournage clandestin en une très grande œuvre, à la réalisation saisissante, et au propos bouleversant.
Véritable marqueur d'une époque, le long-métrage expose un régime totalitaire qui s'embourbe face à la puissance des femmes en lutte, à la manière d'un arbre sacré dont les racines étranglent leur plante-hôte pour se dresser librement. Un très grand film.
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