Les Jeux de l'amour marque les débuts de cinéaste de Philippe de Broca. Alors, les premières années de sa carrière peuvent être, en gros, résumées à de gros succès commerciaux avec Jean-Paul Belmondo et à des bides avec Jean-Pierre Cassel. Le film critiqué ici fait partie de la seconde catégorie.
Cassel et de Broca ont collaboré à quatre reprises à travers des comédies sentimentales légères, souvent farfelues, parfois un peu précieuses. Et si elles n'ont pas marché, ce n'est ni parce que ce sont des œuvres trop personnelles, ni parce qu'elles seraient trop subtiles, mais tout simplement parce qu'elles étaient ratées.
Sur une intrigue très librement conçue à partir d'une idée de la comédienne Geneviève Cluny (je vais revenir sur ce point plus bas !), Philippe de Broca et son coscénariste Daniel Boulanger — avec qui le réalisateur retravaillera régulièrement par la suite (y compris pour les deux grandes réussites que sont L’Homme de Rio et Le Diable par la queue !) — suivent les divagations d’un être immature, égoïste, primesautier, incapable de se soumettre au moindre carcan de la société, ne voulant pas assumer la moindre responsabilité, et qui se trouve confronté au fait que sa compagne désire ardemment un enfant ; situation inconfortable, qui n’est en rien arrangée par la présence du meilleur ami du couple, ne demandant qu’à en profiter pour donner un petit coup de... main...
A priori, étant moi-même un être ayant quelques traits communs avec le protagoniste — sans parler du fait que je suis childfree à donf — j’aurais dû ressentir de la sympathie pour lui. Pas du tout ! J’ai été agacé comme ce n’est pas permis par ce gamin dans ce corps d’adulte, qui ne fait que gesticuler de la façon la plus bruyante possible pendant toute la durée du film. Cela ne dure que 81 minutes. Pourtant, j’ai eu l’impression que c’était bien plus long.
Si ce grand enfant refusant de grandir avait été incarné par le capital sympathie énorme de Belmondo (avec quelques ajustements scénaristiques pour que le personnage lui corresponde un peu mieux !), avec sa gouaille populaire, sa nonchalance irrésistible, un certain sens du panache et un gros talent pour cabotiner sans en avoir l’air (tellement cela semblait naturel chez lui !), ça aurait é sans problème. Mais Jean-Pierre Cassel — au demeurant très bon acteur dans la sobriété, notamment chez Renoir, Melville, Chabrol ou Buñuel ; je tiens à le préciser, car je n’ai aucun problème avec ce comédien autrement — n’est pas bon dans ce type de rôle comique (ce que ne font que confirmer non seulement les autres de Broca, mais aussi le très médiocre La Gamberge du très médiocre Norbert Carbonnaux !). Le cinéaste et lui croyaient visiblement qu’en faire des gigatonnes suffisait à provoquer le rire. Cela ne suscite qu’un agacement croissant. À un tel point qu’à un moment, durant mon visionnage sur le site Arte Cinéma, j’ai interrompu le film pour me calmer, tout en me demandant si je devais continuer à le regarder ou non.
En outre, les deux partenaires principaux de Cassel, Geneviève Cluny — oui, la même qui a eu l’idée originale de l’histoire — et Jean-Louis Maury, en plus d’être dénués de la plus petite once de charisme, jouent comme s'ils avaient un balai dans le cul, tellement ils paraissent guindés.
Pour en revenir à Cluny justement, son idée originale — dont Boulanger et de Broca se sont beaucoup éloignés — était de mettre en scène, comme personnage principal, une femme qui souhaite un gosse de son mari, quitte à lui faire croire qu’elle est prête à avoir un polichinelle dans le tiroir en faisant appel à leur meilleur ami... C’est grâce à sa malice que cette femme infâme réussit à obtenir gain de cause... Cela vous rappelle quelque chose ?
Si vous avez vu Une femme est une femme de Jean-Luc Godard, c’est normal, puisque ce dernier avait repris la même intrigue, mais en conservant le personnage féminin comme protagoniste ; certes, avec un complet je-m’en-foutisme — peu surprenant de sa part — pour ce qui est de l’écriture scénaristique, mais avec des dialogues percutants ainsi qu’un trio qui a largement plus de gueule : Jean-Claude Brialy, Jean-Paul Belmondo (oui, encore lui !) et la sublime Anna Karina.
Bon, pour en revenir à ces Jeux de l’amour, y a-t-il du positif quand même dans ce début foireux d’un réalisateur à la filmographie très inégale, mais capable de grands sommets (L’Homme de Rio et Le Magnifique sont parmi mes films favoris !) ?
D’abord, une très belle photo en noir et blanc (big up à Gaumont pour la restauration, qui est d’un haut niveau !). Ensuite, un aperçu visuellement et historiquement intéressant du Paris de la fin des années 1950 et du tout début de la décennie suivante, avec, en supplément, une séquence qui montre que des barres HLM poussaient déjà en banlieue. Et pour finir, la réalisation parvient à rendre vivant et palpable l’intérieur bohème du couple, assez mémorable, situé dans un logement boutique, à quelques mètres de l’église Saint-Etienne-du-Mont et du Panthéon (au age, pour l'anecdote, c’est là aussi que sera tournée, quelques années plus tard, la légendaire scène de la 2CV dans Le Corniaud !). Je n’ose même pas imaginer combien peut coûter aujourd’hui une habitation à cet endroit précis...
Bref, si quelques qualités de mise en scène étaient d’ores et déjà présentes chez Philippe de Broca, il ne possédait pas encore la compétence de bien choisir ses comédiens. Mais cela viendra dès son quatrième film (son premier sans Cassel !) : Cartouche, avec un certain Jean-Paul Belmondo.