L’Atlas buissonnière

Pendant la plus grande partie du film, je me suis demandé si nous aurions une explication au fait que l’instit, campé avec ferveur par Viggo Mortensen, parlait aussi mal le français. Quand vient le moment qui pourrait nous donner la clef, c’est la déception. Le gars est d’origine espagnole mais né sur place.


Ce détail permet de s’interroger sur les arcanes étranges et les méandres insondables de la production cinématographique contemporaine. Quoi de mieux, se sont sans doute dit les producteurs, pour incarner un instituteur français d’origine espagnole (donc) que de choisir un acteur dano-américain (père danois, mère américaine) né à New York, qui a vécu au Venezuela, au Danemark, en argentine et aux états-unis ? C’est à dire, à bien y regarder, un gars au talent certes intense (qui a débuté dans Witness, le saviez-vous ?), mais qui maitrise parfaitement trois langues qui n’ont aucun rapport avec les deux qui seront utiles ici.
Pire, il semblait assez facile d'adapter le script à l'origine réelle de l'acteur.
Non plus.


Il s’agit du seul écueil que rencontre la narration de ce film aux décors révélateurs: arides, sans refuge évident, mais superbes pour qui sait profiter de ses moments volés.


Quelle est la place de la classe dans l’Atlas ?


Pas étonnant que David Oelhoffen ait fait appel à Nick Cave et Warren Ellis pour l’illustration sonore de son film. La encore, le parallèle avec les qualités du film est évident: discrète et sans fioriture inutile, un travail millimétré mais discret qui laissera l’adepte de décibels démonstratifs sur la touche.


C’est vrai, le récit, adapté d’une nouvelle de Camus n’est pas particulièrement glamour.
Au début des évènements qui allaient conduire à la guerre d’Algérie, un instituteur est réquisitionné contre son gré par la gendarmerie pour accompagner un prisonnier autochtone jusqu’à son lieu de condamnation.
Une trajectoire simple et sans rebondissement stupéfiant. Un récit relativement peu édifiant, dans lequel le spectateur devra faire une partie du travail.


Quels échos de l’Afrique du nord en 1954 résonnent encore à une époque où les notions de terrorisme, d’attentats, d’amis devenus ennemis et de camp à choisir prennent une telle importance dans le discours ambiant ?
Que signifie la complicité naissante prévisible entre les deux voyageurs ? Quelle place est laissée à la confrontations de ces deux âmes, vite débarrassées des artifices de leurs cultures ?


A l’image de cette très belle idée de scène où les deux hommes se réfugient à l’intérieur d’un bâtisse sans toiture quand une pluie glaciale et diluvienne les accable, les moments de chaleur et de réconforts sont fugaces mais essentiels, la complicité tendue sur l’essentiel ("tu n’as jamais connu de femmes ?") et la conclusion froide comme un soleil d’hiver dans l’Atlas.
Seul l’alpiniste habitué à l’aridité de la pente, peut-être, saura y trouver un plaisir mérité.

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le 17 janv. 2015

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guyness

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