Marty
6.8
Marty

Film de Delbert Mann (1955)

Voir le film

Marty a une mère. Il a une rue, un horaire. C’est tout.

Avec Marty, Delbert Mann ne filme pas un héros : il filme un homme qui n’a jamais pensé pouvoir en être un. Un boucher du Bronx, la quarantaine timide, la voix voilée de politesse, le corps un peu trop lourd pour l’époque, pour les bals, pour l’amour. Il ne s’agit pas de faire un drame de cette solitude, ni de la sublimer : il s’agit simplement de l’habiter, avec une attention si fine qu’elle en devient bouleversante.

Il n’y a rien à faire le samedi soir. Cette phrase, répétée avec une lassitude en forme de constat, devient le leitmotiv d’une génération invisible, échouée entre la guerre ée et les promesses floues de l’American Dream. Marty n’a pas de rêve. Il a des horaires. Il a une mère. Il a une rue. C’est tout. Et c’est dans ce presque rien que le film va puiser une densité humaine rare.

Le film est fait d’attentes minuscules : un appel téléphonique, une valse, un regard qui hésite à soutenir l’autre. Il faut toute la tendresse et l’intelligence d’un Ernest Borgnine pour faire de ce corps ordinaire un monument fragile, un héros par défaut, un homme qui se demande s’il mérite, vraiment, d’être aimé. Car Marty ne parle que de cela, au fond : de la peur d’être un rebut, un reste, une vie sans événement. Et il en parle sans forcer, sans effets, à hauteur de trottoir.

Il y a quelque chose de profondément politique dans cette attention portée aux existences mineures. La caméra de Mann épouse l’espace domestique, non pour le dramatiser, mais pour en capter les tensions sourdes : la mère intrusive, les cousins moqueurs, les amis blessants sous couvert de camaraderie. Il impose des normes, des rôles, des récits pré-écrits. Tu es un homme, donc tu dois séduire, dominer, plaire.

La rencontre avec Clara, elle aussi maladroite, effacée, n’est pas une idylle. C’est une possibilité. Ce n’est pas une ion. C’est un courage. Le film sait qu’aimer n’est pas simple quand on ne s’est jamais senti aimable. Et qu’il faut une force considérable pour affronter non seulement les autres, mais aussi le regard que l’on porte sur soi. Ce que Marty montre irablement, ce sont ces micro-batailles qui n’ont rien de spectaculaire.

Cependant, il est certain qu'on peut lui voir dans une esthétique et des gestes datés, un rythme trop lent, une théâtralité un peu molle, mais c’est peut-être aussi ce qui fait le charme des vieux films si on sait en prendre conscience.

8
Écrit par

Créée

le 19 mai 2025

Critique lue 6 fois

4 j'aime

cadreum

Écrit par

Critique lue 6 fois

4

D'autres avis sur Marty

Marty a une mère. Il a une rue, un horaire. C’est tout.

Avec Marty, Delbert Mann ne filme pas un héros : il filme un homme qui n’a jamais pensé pouvoir en être un. Un boucher du Bronx, la quarantaine timide, la voix voilée de politesse, le corps un peu...

Par

le 19 mai 2025

4 j'aime

"You see, you're not such a dog as you think you are."

"T'es pas aussi cageot que tu penses" - C'est sûr, Marty a le bon mot pour charmer les filles ;) Dans la série des "films à avoir vu", "Marty" est plutôt bien situé : 4 Oscars, la première véritable...

Par

le 19 mai 2015

4 j'aime

Critique de Marty par JimAriz

En plein dans les années 50, temps des playboys, des Cary Grant, Maryline Monroe et autres Clark Gable, Delbert Mann nous présent Marty et son histoire d'amour. Nouveau héro romantique, vieux garçon...

Par

le 18 juin 2014

3 j'aime

Du même critique

L'obsession et le désir en exil

Luca Guadagnino s’empare de Queer avec la ferveur d’un archéologue fou, creusant dans la prose de Burroughs pour en extraire la matière brute de son roman. Il flotte sur Queer un air de mélancolie...

Par

le 14 févr. 2025

29 j'aime

1

Maria dans les interstices de Callas

Après Jackie et Spencer, Pablo Larrain clôt sa trilogie biographique féminine en explorant l'énigme, Maria Callas.Loin des carcans du biopic académique, Larraín s’affranchit des codes et de la...

Par

le 17 déc. 2024

27 j'aime

3

Traumas des victimes murmurées

Sous la main de Tim Mielants, le silence s'immisce dans chaque plan, une ombre qui plane sur l’âme lugubre de son œuvre. La bande sonore, pesante, s’entrelace à une mise en scène austère, plongeant...

Par

le 20 nov. 2024

25 j'aime

1