"Quand baiserais-je ?" titrait Antoine Goya pour la critique de MEKTOUB MY LOVE.
La question que tout le monde se pose, au fond, question existentielle ? Question physique ? Métaphysique ?
L'acte apporte t-il une réponse, un soulagement à une pulsion physique où à une préoccupation métaphysique longuement ressassée ?
Abdellatif Keschiche ouvre son film sur l'unique scène de cul et y place la caméra avec indiscrétion, alternant prises de vue de la copulation avec et cadres sur le jeune Amin, voyeur occasionnel qui laisse errer son regard sur les corps le temps d'un souffle.
Amin est solitaire, fermé, gentil certes, mais timide, préoccupé par le Beau, tout comme nous, spectateurs, et comme Keschiche, cinéaste.
Amin est notre alter ego à tous, celui que l'on est tous ou que l'on pourrait tous être.
Ophélie, son amie d'enfance (qu'il retrouve après de longues années d'études en photo à Paris) est belle "au naturel", respire la simplicité, la spontanéité, la joie de vivre. Elle trompe son futur mari partit dans l'armée (dans un SNLE) avec Tony, autre ami d'enfance de Amin.
Tony est beau gosse, enjoué, drôle, mais immature et, au fond, un peu stupide.
La force du film est que tout ce que l'on pense des personnages, on estime directement qu'Amin en pense la même chose car il nous incarne, il est nous. Cependant, nous n'en sommes pas surs...
Le film s'écoule pendant 3 heures de doux plaisir, lente contemplation de scènes de 20 minutes à la plage, sur le chemin de la maison, chez tel ami, au bar, en boite.
On suit la débauche de ce groupe de jeunes mais aussi de leurs parents, de leurs amis.
On est plongé dans ces journées, soirées d'été, on sent le soleil, on entend les vagues, on fait part du groupe.
Les rivalités amoureuses se mettent en place, des tensions se créent, des enjeux naissent. On se prend au jeu. C'est magique !
La narration étant externe, on ne sait ce que pensent réellement les personnages. Même si l'on veut se convaincre qu'Amin pense comme nous, on n'en sait rien, on n'en sait jamais rien.
Aime t-il la belle Ophélie ? Elle qui était folle de lui quand elle était petite...
Aime t-il la jeune Céline ? Elle qui danse si bien !
Au final, ne serait-ce pas avec Charlotte qu'il sympathise ?
Le film n'est qu'un rêve immersif, ambiance méditerrannée, le bruit du vent dans les arbres, des mouettes, de la mer, des bars, des moutons...
La photo est sublime, digne d'une publicité pour une compagnie de voyage, qui met en valeur les corps (contre plongées, contre jour), véritable obsession du film, des personnages, des spectateurs, de tous tout le temps ! Tous se posent une seule et même question en boucle :
"Baiserais-je ?"
Sauf Amin. Veut-il ? Ne veut-il pas ? Il hésite et ça se voit. Il a peur, peur d'avoir peur. Il craint les autres, il craint les femmes et les ire en même temps. Il se rassure à travers le cinéma, en regardant des films soviétiques dans sa chambre, il se rassure par la photographie en immortalisant la naissance de jeunes agneaux (toujours lié à la question fil rouge du film !).
Peut importe qu'Amine veuille ou non, d'ailleurs qu'en sait-on ! On ne sait rien de lui : a t-il une petite amie à Paris ? Une fois il a dit que oui, une fois il a dit que non...
On ne voit que ce que Keschiche nous montre après tout : peut être a t-il couché avec toutes sans qu'on le sache ! Tout est possible, c'est pourquoi ce film est beau.
Quoique l'on puisse imaginer, ce film, par sa subtilité, ira toujours plus loin.
Ainsi, je peux supposer, connaissant Keschiche, que la dernière scène, où se retrouvent Charlotte et Amin sûrement pour le début d'une vie commune, n'est en fait qu'une fin logique à toutes ces péripéties. Le destin les a réunit, le "Mektoub"...lui, le jeune cinéaste, elle l'étudiante en commerce, les deux marginaux du groupe de potes, les rejetés dont on a volé la place.
On peut même aller jusqu'à se demander si la volonté de Keschiche n'a pas, encore une fois, été d'analyser avec précision les rouages du déterminisme socio-culturel.
Tony est piégé : il est foutu, trop irresponsable, c'est du à sa famille un peu dérangée.
Amin, lui, a réussi à s'en sortir, il est monté à Paris. Mais quand il revient, il est l'alien, le différent, l'intellectuel. On ne le comprend pas, il ne les comprend pas non plus. Il regarde des films dans sa chambre, sa mère lui dit qu'il perd son temps et ferait mieux d'aller se baigner.
2 cultures s'affrontent alors. C'est crucial, c'est génial !
Camélia (Hafsia Herzi), elle, n'a pas changé. Elle revient et en quelques minutes, c'est comme si elle avait toujours été là : elle discute tranquillement avec tout le monde, s'amuse, rit.
Amin n'y arrive pas, n'ose pas, tiraillé sans cesse entre Ophélie et Céline, entre la Russe et ses copines. Il finit par toutes les délaisser.
Ce jeu amoureux si propre à la jeunesse n'a jamais aussi bien été retranscrit à l'écran que par Abdellatif Keschiche qui signe ici son meilleur film. Le plus amusant, c'est qu'on ne sait rien.
Michel Ange disait que "La beauté consiste à chasser le superflu". Keschiche garde le superflu, l'expose, l'affiche, et fait transparaitre par celui-ci la vérité profonde de nos rapports humains sans cesse motivés par quelque froide pulsion (que Keschiche réchauffe !).
Il expose la réalité de nos motivations et la rend belle, décomplexée et attirante.
On aime ces personnages pour ce qu'ils sont.
Ils ne sont certes pas parfaits, mais ils sont beaux, touchants dans leur faiblesse, leur insignifiance, leurs maladroites tentatives pour être aimés des autres.
"Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ;
Toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ;
Le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ;
Mais s'il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.
On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux, mais on aime.
Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit :
J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais...j'ai aimé."
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour